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dimanche 1 décembre 2013
Park and Suites propriétaires :Park&Suites Confort Paris Les Ulis est situé dans la ville nouvelle des Ulis, à proximité de la zone d'affaires de Courtaboeuf. La résidence est facilement accessible de part sa proximité avec les grands axes autouroutiers qui desservent Paris et sa région.
À certains moments, il lui semblait qu’ils ne
marchaient plus, qu’ils étaient charriés par la Marseillaise elle-même,
par ce chant rauque aux sonorités formidables. Elle ne pouvait
distinguer les paroles, elle n’entendait qu’un grondement continu,
allant de notes sourdes à des notes vibrantes, aiguës comme des pointes
qu’on aurait, par saccades, enfoncées dans sa chair. Ce rugissement de
la révolte, cet appel à la lutte et à la mort, avec ses secousses de
colère, ses désirs brûlants de liberté, son étonnant mélange de
massacres et d’élans sublimes, en la frappant au cœur, sans relâche, et
plus profondément à chaque brutalité du rythme, lui causait une de ces
angoisses voluptueuses de vierge martyre se redressant et souriant sous
le fouet. Et toujours, roulée dans le flot sonore, la foule coulait. Le
défilé, qui dura à peine quelques minutes, parut aux jeunes gens ne
devoir jamais finir. : Park and Suites propriétaires
Certes, Miette était une enfant. Elle avait pâli à l’approche de la
bande, elle avait pleuré ses tendresses envolées ; mais elle était une
enfant de courage, une nature ardente que l’enthousiasme exaltait
aisément. Aussi, l’émotion qui l’avait peu à peu gagnée, la
secouait-elle maintenant tout entière. Elle devenait un garçon.
Volontiers elle eût pris une arme et suivi les insurgés. Ses dents
blanches, à mesure que défilaient les fusils et les faux, se montraient
plus longues et plus aiguës, entre ses lèvres rouges, pareilles aux
crocs d’un jeune loup qui aurait des envies de mordre. Et, lorsqu’elle
entendit Silvère dénombrer d’une voix de plus en plus pressée les
contingents des campagnes, il lui sembla que l’élan de la colonne
s’accélérait encore, à chaque parole du jeune homme. Bientôt ce fut un
emportement, une poussière d’hommes balayée par une tempête. Tout se
mit à tourner devant elle. Elle ferma les yeux. De grosses larmes
chaudes coulaient sur ses joues. : Park and Suites proprietaire
Silvère avait, lui aussi, des pleurs au bord des cils. : Park and Suites propriétaires
— Je ne vois pas les hommes qui ont quitté Plassans cette après-midi, murmura-t-il. : Proprietaire Park and Suites
Il tâchait de distinguer le bout de la colonne, qui se trouvait encore dans l’ombre. Puis il cria avec une joie triomphante : : Park and Suites propriétaires
— Ah ! les voici !… Ils ont le drapeau, on leur a confié le drapeau ! : Proprietaires Park and Suites
Alors il voulut sauter du talus pour aller rejoindre ses compagnons ;
mais, à ce moment, les insurgés s’arrêtèrent. Des ordres coururent le
long de la colonne. La Marseillaise s’éteignit dans un dernier
grondement, et l’on n’entendit plus que le murmure confus de la foule,
encore toute vibrante. Silvère, qui écoutait, put comprendre les ordres
que les contingents se transmettaient et qui appelaient les gens de
Plassans en tête de la bande. Comme chaque bataillon se rangeait au
bord de la route pour laisser passer le drapeau, le jeune homme,
entraînant Miette, se mit à remonter le talus. : Park and Suites propriétaires
— Viens, lui dit-il, nous serons avant eux de l’autre côté du pont. : Propriétaires Park and Suites
Et quand ils furent en haut, dans les terres labourées, ils coururent
jusqu’à un moulin dont l’écluse barre la rivière. Là, ils traversèrent
la Viorne sur une planche que les meuniers y ont jetée. Puis ils
coupèrent en biais les prés Sainte-Claire, toujours se tenant par la
main, toujours courant, sans échanger une parole. La colonne faisait,
sur le grand chemin, une ligne sombre qu’ils suivirent le long des
haies. Il y avait des trous dans les aubépines. Silvère et Miette
sautèrent sur la route par un de ces trous. : Park and Suites propriétaires
Malgré le détour qu’ils venaient de faire, ils arrivèrent en même temps
que les gens de Plassans. Silvère échangea quelques poignées de main ;
on dut penser qu’il avait appris la marche nouvelle des insurgés et
qu’il était venu à leur rencontre. Miette, dont le visage était caché à
demi par le capuchon de la pelisse, fut regardée curieusement. : Propriétaire Park and Suites
— Eh ! c’est la Chantegreil, dit un homme du faubourg, la nièce de Rébufat, le méger du Jas-Meiffren. : Park and Suites propriétaires
— D’où sors-tu donc, coureuse ? cria une autre voix. : Park and Suites propriétaires
Silvère, gris d’enthousiasme, n’avait pas songé à la singulière figure
que ferait son amoureuse devant les plaisanteries certaines des
ouvriers. Miette, confuse, le regardait comme pour implorer aide et
secours. Mais, avant même qu’il eût pu ouvrir les lèvres, une nouvelle
voix s’éleva du groupe, disant avec brutalité : : Park and Suites proprietaires
— Son père est au bagne, nous ne voulons pas avec nous la fille d’un voleur et d’un assassin. : Park and Suites propriétaires
Plassans est une sous-préfecture d’environ dix mille âmes. Bâtie sur le
plateau qui domine la Viorne, adossée au nord contre les collines des
Garrigues, une des dernières ramifications des Alpes, la ville est
comme située au fond d’un cul-de-sac. En 1851, elle ne communiquait
avec les pays voisins que par deux routes, la route de Nice, qui
descend à l’est, et la route de Lyon, qui monte à l’ouest, l’une
continuant l’autre, sur deux lignes presque parallèles. Depuis cette
époque, on a construit un chemin de fer dont la voie passe au sud de la
ville, en bas du coteau qui va en pente raide des anciens remparts à la
rivière. Aujourd’hui, quand on sort de la gare, placée sur la rive
droite du petit torrent, on aperçoit, en levant la tête, les premières
maisons de Plassans, dont les jardins forment terrasse. Il faut monter
pendant un bon quart d’heure avant d’atteindre ces maisons. : Park and Suites propriétaire
Il y a une vingtaine d’années, grâce sans doute au manque de
communications, aucune ville n’avait mieux conservé le caractère dévot
et aristocratique des anciennes cités provençales. Elle avait, et a
d’ailleurs encore aujourd’hui, tout un quartier de grands hôtels bâtis
sous Louis XIV et sous Louis XV, une douzaine d’églises, des maisons de
jésuites et de capucins, un nombre considérable de couvents. La
distinction des classes y est restée longtemps tranchée par la division
des quartiers. Plassans en compte trois, qui forment chacun comme un
bourg particulier et complet, ayant ses églises, ses promenades, ses
mœurs, ses horizons. : Park and Suites propriétaires
Le quartier des nobles, qu’on nomme quartier Saint-Marc, du nom d’une
des paroisses qui le desservent, un petit Versailles aux rues droites,
rongées d’herbe, et dont les larges maisons carrées cachent de vastes
jardins, s’étend au sud, sur le bord du plateau ; certains hôtels,
construits au ras même de la pente, ont une double rangée de terrasses,
d’où l’on découvre toute la vallée de la Viorne, admirable point de vue
très-vanté dans le pays. Le vieux quartier, l’ancienne ville, étage au
nord-ouest ses ruelles étroites et tortueuses, bordées de masures
branlantes ; là se trouvent la mairie, le tribunal civil, le marché, la
gendarmerie ; cette partie de Plassans, la plus populeuse, est occupée
par les ouvriers, les commerçants, tout le menu peuple actif et
misérable. La ville neuve, enfin, forme une sorte de carré long, au
nord-est ; la bourgeoisie, ceux qui ont amassé sou à sou une fortune,
et ceux qui exercent une profession libérale, y habitent des maisons
bien alignées, enduites d’un badigeon jaune clair. Ce quartier,
qu’embellit la sous-préfecture, une laide bâtisse de plâtre ornée de
rosaces, comptait à peine cinq ou six rues en 1851 ; il est de création
récente, et, surtout depuis la construction du chemin de fer, il tend
seul à s’agrandir. : Park and Suites proprietaires
Ce qui, de nos jours, partage encore Plassans en trois parties
indépendantes et distinctes, c’est que les quartiers sont seulement
bornés par de grandes voies. Le cours Sauvaire et la porte de Rome, qui
en est comme le prolongement étranglé, vont de l’ouest à l’est, de la
Grand’-Porte à la porte de Rome, coupant ainsi la ville en deux
morceaux, séparant le quartier des nobles des deux autres quartiers.
Ceux-ci sont eux-mêmes délimités par la rue de la Banne ; cette rue, la
plus belle du pays, prend naissance à l’extrémité du cours Sauvaire et
monte vers le nord, en laissant à gauche les masses noires du vieux
quartier, à droite les maisons jaune clair de la ville neuve. C’est là,
vers le milieu de la rue, au fond d’une petite place plantée d’arbres
maigres, que se dresse la sous-préfecture, monument dont les bourgeois
de Plassans sont très-fiers. : Park and Suites propriétaires
Comme pour s’isoler davantage et se mieux enfermer chez elle, la ville
est entourée d’une ceinture d’anciens remparts qui ne servent
aujourd’hui qu’à la rendre plus noire et plus étroite. On démolirait à
coups de fusil ces fortifications ridicules, mangées de lierre et
couronnées de giroflées sauvages, tout au plus égales en hauteur et en
épaisseur aux murailles d’un couvent. Elles sont percées de plusieurs
ouvertures, dont les deux principales, la porte de Rome et la
Grand’-Porte, s’ouvrent, la première sur la route de Nice, la seconde
sur la route de Lyon, à l’autre bout de la ville. Jusqu’en 1853, ces
ouvertures sont restées garnies d’énormes portes de bois à deux
battants, cintrées dans le haut, et que consolidaient des lames de fer.
À onze heures en été, à dix heures en hiver, on fermait ces portes à
double tour. La ville, après avoir ainsi poussé les verrous comme une
fille peureuse, dormait tranquille. Un gardien, qui habitait une
logette placée dans un des angles intérieurs de chaque portail, avait
charge d’ouvrir aux personnes attardées. Mais il fallait parlementer
longtemps. Le gardien n’introduisait les gens qu’après avoir éclairé de
sa lanterne et examiné attentivement leur visage au travers d’un judas
; pour peu qu’on lui déplût, on couchait dehors. Tout l’esprit de la
ville, fait de poltronnerie, d’égoïsme, de routine, de la haine du
dehors et du désir religieux d’une vie cloîtrée, se trouvait dans ces
tours de clef donnés aux portes chaque soir. Plassans, quand il s’était
bien cadenassé, se disait : « Je suis chez moi », avec la satisfaction
d’un bourgeois dévot, qui, sans crainte pour sa caisse, certain de
n’être réveillé par aucun tapage, va réciter ses prières et se mettre
voluptueusement au lit. Il n’y a pas de cité, je crois, qui se soit
entêtée si tard à s’enfermer comme une nonne. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES
La population de Plassans se divise en trois groupes ; autant de
quartiers, autant de petits mondes à part. Il faut mettre en dehors les
fonctionnaires, le sous-préfet, le receveur particulier, le
conservateur des hypothèques, le directeur des postes, tous gens
étrangers à la contrée, peu aimés et très-enviés, vivant à leur guise.
Les vrais habitants, ceux qui ont poussé là, et qui sont fermement
décidés à y mourir, respectent trop les usages reçus et les
démarcations établies pour ne pas se parquer d’eux-mêmes dans une des
sociétés de la ville. : Park and Suites propriétaires
Les nobles se cloîtrent hermétiquement. Depuis la chute de Charles X,
ils sortent à peine, se hâtent de rentrer dans leurs grands hôtels
silencieux, marchant furtivement, comme en pays ennemi. Ils ne vont
chez personne, et ne se reçoivent même pas entre eux. Leurs salons ont
pour seuls habitués quelques prêtres. L’été, ils habitent les châteaux
qu’ils possèdent aux environs ; l’hiver, ils restent au coin de leur
feu. Ce sont des morts s’ennuyant dans la vie. Aussi leur quartier
a-t-il le calme lourd d’un cimetière. Les portes et les fenêtres sont
soigneusement barricadées ; on dirait une suite de couvents fermés à
tous les bruits du dehors. De loin en loin, on voit passer un abbé dont
la démarche discrète met un silence de plus le long des maisons closes,
et qui disparaît comme une ombre dans l’entre-bâillement d’une porte. :
PROPRIETAIRES PARK AND SUITES
La bourgeoisie, les commerçants retirés, les avocats, les notaires,
tout le petit monde aisé et ambitieux qui peuple la ville neuve, tâche
de donner quelque vie à Plassans. Ceux-là vont aux soirées de M. le
sous-préfet et rêvent de rendre des fêtes pareilles. Ils font
volontiers de la popularité, appellent un ouvrier « mon brave »,
parlent des récoltes aux paysans, lisent les journaux, se promènent le
dimanche avec leurs dames. Ce sont les esprits avancés de l’endroit,
les seuls qui se permettent de rire en parlant des remparts ; ils ont
même plusieurs fois réclamé de « l’édilité » la démolition de ces
vieilles murailles, « vestige d’un autre âge ». D’ailleurs, les plus
sceptiques d’entre eux reçoivent une violente commotion de joie chaque
fois qu’un marquis ou un comte veut bien les honorer d’un léger salut.
Le rêve de tout bourgeois de la ville neuve est d’être admis dans un
salon du quartier Saint-Marc. Ils savent bien que ce rêve est
irréalisable, et c’est ce qui leur fait crier très-haut qu’ils sont
libres penseurs, des libres penseurs tout de paroles, fort amis de
l’autorité, se jetant dans les bras du premier sauveur venu, au moindre
grondement du peuple. : Park and Suites propriétaires
Le groupe qui travaille et végète dans le vieux quartier n’est pas
aussi nettement déterminé. Le peuple, les ouvriers y sont en majorité ;
mais on y compte aussi les petits détaillants et même quelques gros
négociants. À la vérité, Plassans est loin d’être un centre de commerce
; on y trafique juste assez pour se débarrasser des productions du
pays, les huiles, les vins, les amandes. Quant à l’industrie, elle n’y
est guère représentée que par trois ou quatre tanneries qui empestent
une des rues du vieux quartier, des manufactures de chapeaux de feutre
et une fabrique de savon reléguée dans un coin du faubourg. Ce petit
monde commercial et industriel, s’il fréquente, aux grands jours, les
bourgeois de la ville neuve, vit surtout au milieu des travailleurs de
l’ancienne ville. Commerçants, détaillants, ouvriers, ont des intérêts
communs qui les unissent en une seule famille. Le dimanche seulement,
les patrons se lavent les mains et font bande à part. D’ailleurs, la
population ouvrière, qui compte pour un cinquième à peine, se perd au
milieu des oisifs du pays. : PROPRIETAIRE PARK AND SUITES
Une seule fois par semaine, dans la belle saison, les trois quartiers
de Plassans se rencontrent face à face. Toute la ville se rend au cours
Sauvaire, le dimanche après les vêpres ; les nobles eux-mêmes se
hasardent. Mais, sur cette sorte de boulevard planté de deux allées de
platanes, il s’établit trois courants bien distincts. Les bourgeois de
la ville neuve ne font que passer ; ils sortent par la Grand’-Porte et
prennent, à droite, l’avenue du Mail, le long de laquelle ils vont et
viennent, jusqu’à la tombée de la nuit. Pendant ce temps, la noblesse
et le peuple se partagent le cours Sauvaire. Depuis plus d’un siècle,
la noblesse a choisi l’allée placée au sud, qui est bordée d’une rangée
de grands hôtels et que le soleil quitte la première ; le peuple a dû
se contenter de l’autre allée, celle du nord, côté où se trouvent les
cafés, les hôtels, les débits de tabac. Et, toute l’après-midi, peuple
et noblesse se promènent, montant et descendant le cours, sans que
jamais un ouvrier ou un noble ait la pensée de changer d’avenue. Six à
huit mètres les séparent, et ils restent à mille lieues les uns des
autres, suivant avec scrupule deux lignes parallèles, comme ne devant
plus se rencontrer en ce bas monde. Même aux époques révolutionnaires,
chacun a gardé son allée. Cette promenade réglementaire du dimanche et
les tours de clef donnés le soir aux portes sont des faits du même
ordre, qui suffisent pour juger les dix mille âmes de la ville. : Park and Suites propriétaires
Ce fut dans ce milieu particulier que végéta jusqu’en 1848 une famille
obscure et peu estimée, dont le chef, Pierre Rougon, joua plus tard un
rôle important, grâce à certaines circonstances. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRE
Pierre Rougon était un fils de paysan. La famille de sa mère, les
Fouque, comme on les nommait, possédait, vers la fin du siècle dernier,
un vaste terrain situé dans le faubourg, derrière l’ancien cimetière
Saint-Mittre ; ce terrain a été plus tard réuni au Jas-Meiffren. Les
Fouque étaient les plus riches maraîchers du pays ; ils fournissaient
de légumes tout un quartier de Plassans. Le nom de cette famille
s’éteignit quelques années avant la révolution. Une fille seule resta,
Adélaïde, née en 1768, et qui se trouva orpheline à l’âge de dix-huit
ans. Cette enfant, dont le père mourut fou, était une grande créature,
mince, pâle, aux regards effarés, d’une singularité d’allures qu’on put
prendre pour de la sauvagerie tant qu’elle resta petite fille. Mais, en
grandissant, elle devint plus bizarre encore ; elle commit certaines
actions que les plus fortes têtes du faubourg ne purent raisonnablement
expliquer, et, dès lors, le bruit courut qu’elle avait le cerveau fêlé
comme son père. Elle se trouvait seule dans la vie, depuis six mois à
peine, maîtresse d’un bien qui faisait d’elle une héritière recherchée,
quand on apprit son mariage avec un garçon jardinier, un nommé Rougon,
paysan mal dégrossi, venu des Basses-Alpes. Ce Rougon, après la mort du
dernier des Fouque, qui l’avait loué pour une saison, était resté au
service de la fille du défunt. De serviteur à gages, il passait
brusquement au titre envié de mari. Ce mariage fut un premier
étonnement pour l’opinion ; personne ne put comprendre pourquoi
Adélaïde préférait ce pauvre diable, épais, lourd, commun, sachant à
peine parler français, à tels et tels jeunes gens, fils de cultivateurs
aisés, qu’on voyait rôder autour d’elle depuis longtemps. Et comme en
province rien ne doit rester inexpliqué, on voulut voir un mystère
quelconque au fond de cette affaire, on prétendit même que le mariage
était devenu une absolue nécessité entre les jeunes gens. Mais les
faits démentirent ces médisances. Adélaïde eut un fils au bout de douze
grands mois. Le faubourg se fâcha ; il ne pouvait admettre qu’il se fût
trompé, il entendait pénétrer le prétendu secret ; aussi toutes les
commères se mirent-elles à espionner les Rougon. Elles ne tardèrent pas
à avoir une ample matière de bavardages. Rougon mourut presque
subitement, quinze mois après son mariage, d’un coup de soleil qu’il
reçut, une après-midi, en sarclant un plant de carottes. Une année
s’était à peine écoulée que la jeune veuve donna lieu à un scandale
inouï ; on sut d’une façon certaine qu’elle avait un amant ; elle ne
paraissait pas s’en cacher ; plusieurs personnes affirmaient l’avoir
entendue tutoyer publiquement le successeur du pauvre Rougon. Un an de
veuvage au plus, et un amant ! Un pareil oubli des convenances parut
monstrueux, en dehors de la saine raison. Ce qui rendit le scandale
plus éclatant, ce fut l’étrange choix d’Adélaïde. Alors demeurait au
fond de l’impasse Saint-Mittre, dans une masure dont les derrières
donnaient sur le terrain des Fouque, un homme mal famé, que l’on
désignait d’habitude sous cette locution, « ce gueux de Macquart. » Cet
homme disparaissait pendant des semaines entières ; puis on le voyait
reparaître, un beau soir, les bras vides, les mains dans les poches,
flânant ; il sifflait, il semblait revenir d’une petite promenade. Et
les femmes, assises sur le seuil de leur porte, disaient en le voyant
passer : « Tiens ! ce gueux de Macquart ! il aura caché ses ballots et
son fusil dans quelque creux de la Viorne. » La vérité était que
Macquart n’avait pas de rentes, et qu’il mangeait et buvait en heureux
fainéant, pendant ses courts séjours à la ville. Il buvait surtout avec
un entêtement farouche ; seul à une table, au fond d’un cabaret, il
s’oubliait chaque soir, les yeux fixés stupidement sur son verre, sans
jamais écouter ni regarder autour de lui. Et, quand le marchand de vin
fermait sa porte, il se retirait d’un pas ferme, la tête plus haute,
comme redressé par l’ivresse. « Macquart marche bien droit, il est ivre
mort », disait-on en le voyant rentrer. D’ordinaire, lorsqu’il n’avait
pas bu, il allait légèrement courbé, évitant les regards des curieux
avec une sorte de timidité sauvage. Depuis la mort de son père, un
ouvrier tanneur, qui lui avait laissé pour tout héritage la masure de
l’impasse Saint-Mittre, on ne lui connaissait ni parents ni amis. La
proximité des frontières et le voisinage des forêts de la Seille
avaient fait de ce paresseux et singulier garçon un contrebandier
doublé d’un braconnier, un de ces êtres à figure louche dont les
passants disent : « Je ne voudrais pas rencontrer cette tête-là, à
minuit, au coin d’un bois. » Grand, terriblement barbu, la face maigre,
Macquart était la terreur des bonnes femmes du faubourg ; elles
l’accusaient de manger des petits enfants tout crus. À peine âgé de
trente ans, il paraissait en avoir cinquante. Sous les broussailles de
sa barbe et les mèches de ses cheveux, qui lui couvraient le visage,
pareilles aux touffes de poils d’un caniche, on ne distinguait que le
luisant de ses yeux bruns, le regard furtif et triste d’un homme aux
instincts vagabonds, que le vin et une vie de paria ont rendu mauvais.
Bien qu’on ne pût préciser aucun de ses crimes, il ne se commettait pas
un vol, pas un assassinat dans le pays, sans que le premier soupçon se
portât sur lui. Et c’était cet ogre, ce brigand, ce gueux de Macquart
qu’Adélaïde avait choisi ! En vingt mois, elle eut deux enfants, un
garçon, puis une fille. De mariage entre eux, il n’en fut pas un
instant question. Jamais le faubourg n’avait vu une pareille audace
dans l’inconduite. La stupéfaction fut si grande, l’idée que Macquart
avait pu trouver une maîtresse jeune et riche renversa à tel point les
croyances des commères, qu’elles furent presque douces pour Adélaïde. «
La pauvre ! elle est devenue complétement folle, disaient-elles ; si
elle avait une famille, il y a longtemps qu’elle serait enfermée. » Et,
comme on ignora toujours l’histoire de ces amours étranges, ce fut
encore cette canaille de Macquart qui fut accusé d’avoir abusé du
cerveau faible d’Adélaïde pour lui voler son argent. : Park and Suites propriétaires
Le fils légitime, le petit Pierre Rougon, grandit avec les bâtards de
sa mère. Adélaïde garda auprès d’elle ces derniers, Antoine et Ursule,
les louveteaux, comme on les nommait dans le quartier, sans d’ailleurs
les traiter ni plus ni moins tendrement que son enfant du premier lit.
Elle paraissait n’avoir pas une conscience bien nette de la situation
faite dans la vie à ces deux pauvres créatures. Pour elle, ils étaient
ses enfants au même titre que son premier-né ; elle sortait parfois
tenant Pierre d’une main et Antoine de l’autre, ne s’apercevant pas de
la façon déjà profondément différente dont on regardait les chers
petits. : Park and Suites proprietaire
Ce fut une singulière maison. : Park and Suites propriétaires
Pendant près d’une vingtaine d’années, chacun y vécut à son caprice,
les enfants comme la mère. Tout y poussa librement. En devenant femme,
Adélaïde était restée la grande fille étrange qui passait à quinze ans
pour une sauvage ; non pas qu’elle fût folle, ainsi que le prétendaient
les gens du faubourg, mais il y avait en elle un manque d’équilibre
entre le sang et les nerfs, une sorte de détraquement du cerveau et du
cœur, qui la faisait vivre en dehors de la vie ordinaire, autrement que
tout le monde. Elle était certainement très-naturelle, très-logique
avec elle-même ; seulement sa logique devenait de la pure démence aux
yeux des voisins.