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dimanche 1 décembre 2013

Park and suites proprietaires :A quelques kilomètres de l’un des plus grands joyaux du patrimoine historique français : le Château de Versailles et à proximité du quartier d’affaires de Saint Quentin en Yvelines,

Elle semblait vouloir s’afficher, chercher méchamment à ce que tout, chez elle, allât de mal en pis, lorsqu’elle obéissait avec une grande naïveté aux seules poussées de son tempérament. : Proprietaire Park and Suites Dès ses premières couches, elle fut sujette à des crises nerveuses qui la jetaient dans des convulsions terribles. Ces crises revenaient périodiquement tous les deux ou trois mois. Les médecins qui furent consultés répondirent qu’il n’y avait rien à faire, que l’âge calmerait ces accès. On la mit seulement au régime des viandes saignantes et du vin de quinquina. Ces secousses répétées achevèrent de la détraquer. Elle vécut au jour le jour, comme une enfant, comme une bête caressante qui cède à ses instincts. Quand Macquart était en tournée, elle passait ses journées, oisive, songeuse, ne s’occupant de ses enfants que pour les embrasser et jouer avec eux. Puis, dès le retour de son amant, elle disparaissait. : Park and Suites propriétaires Derrière la masure de Macquart, il y avait une petite cour qu’une muraille séparait du terrain des Fouque. Un matin, les voisins furent très-surpris en voyant cette muraille percée d’une porte qui, la veille au soir n’était pas là. En une heure, le faubourg entier défila aux fenêtres voisines. Les amants avaient dû travailler toute la nuit pour creuser l’ouverture et pour poser la porte. Maintenant, ils pouvaient aller librement de l’un chez l’autre. Le scandale recommença ; on fut moins doux pour Adélaïde, qui décidément était la honte du faubourg ; cette porte, cet aveu tranquille et brutal de vie commune lui fut plus violemment reproché que ses deux enfants. « On sauve au moins les apparences, » disaient les femmes les plus tolérantes. Adélaïde ignorait ce qu’on appelle « sauver les apparences ; » elle était très-heureuse, très-fière de sa porte ; elle avait aidé Macquart à arracher les pierres du mur, elle lui avait même gâché du plâtre pour que la besogne allât plus vite ; aussi vint-elle, le lendemain, avec une joie d’enfant, regarder son œuvre, en plein jour, ce qui parut le comble du dévergondage à trois commères, qui l’aperçurent, contemplant la maçonnerie encore fraîche. Dès lors, à chaque apparition de Macquart, on pensa, en ne voyant plus la jeune femme, qu’elle allait vivre avec lui dans la masure de l’impasse Saint-Mittre. : Proprietaires Park and Suites Le contrebandier venait très-irrégulièrement, presque toujours à l’improviste. Jamais on ne sut au juste quelle était la vie des amants, pendant les deux ou trois jours qu’il passait à la ville, de loin en loin. Ils s’enfermaient, le petit logis paraissait inhabité. Le faubourg ayant décidé que Macquart avait séduit Adélaïde uniquement pour lui manger son argent, on s’étonna, à la longue, de voir cet homme vivre comme par le passé, sans cesse par monts et par vaux, aussi mal équipé qu’auparavant. Peut-être la jeune femme l’aimait-elle d’autant plus qu’elle le voyait à de plus longs intervalles ; peut-être avait-il résisté à ses supplications, éprouvant l’impérieux besoin d’une existence aventureuse. On inventa mille fables, sans pouvoir expliquer raisonnablement une liaison qui s’était nouée et se prolongeait en dehors de tous les faits ordinaires. Le logis de l’impasse Saint-Mittre resta hermétiquement clos et garda ses secrets. On devina seulement que Macquart devait battre Adélaïde, bien que jamais le bruit d’une querelle ne sortît de la maison. À plusieurs reprises, elle reparut, la face meurtrie, les cheveux arrachés. D’ailleurs, pas le moindre accablement de souffrance ni même de tristesse, pas le moindre souci de cacher ses meurtrissures. Elle souriait, elle semblait heureuse. Sans doute, elle se laissait assommer sans souffler mot. Pendant plus de quinze ans, cette existence dura. : Park and Suites propriétaires Lorsque Adélaïde rentrait chez elle, elle trouvait la maison au pillage, sans s’émouvoir le moins du monde. Elle manquait absolument du sens pratique de la vie. La valeur exacte des choses, la nécessité de l’ordre lui échappaient. : Propriétaires Park and Suites Elle laissa croître ses enfants comme ces pruniers qui poussent le long des routes, au bon plaisir de la pluie et du soleil. Ils portèrent leurs fruits naturels, en sauvageons que la serpe n’a point greffés ni taillés. Jamais la nature ne fut moins contrariée, jamais petits êtres malfaisants ne grandirent plus franchement dans le sens de leurs instincts. En attendant, ils se roulaient dans les plants de légumes, passant leur vie en plein air, à jouer et à se battre comme des vauriens. Ils volaient les provisions du logis, ils dévastaient les quelques arbres fruitiers de l’enclos, ils étaient les démons familiers, pillards et criards, de cette étrange maison de la folie lucide. Quand leur mère disparaissait pendant des journées entières, leur vacarme devenait tel, ils trouvaient des inventions si diaboliques pour molester les gens, que les voisins devaient les menacer d’aller leur donner le fouet. Adélaïde, d’ailleurs, ne les effrayait guère ; lorsqu’elle était là, s’ils devenaient moins insupportables aux autres, c’est qu’ils la prenaient pour victime, manquant l’école régulièrement cinq ou six fois par semaine, faisant tout au monde pour s’attirer une correction qui leur eût permis de brailler à leur aise. Mais jamais elle ne les frappait, ni même ne s’emportait ; elle vivait très-bien au milieu du bruit, molle, placide, l’esprit perdu. À la longue même, l’affreux tapage de ces garnements lui devint nécessaire pour emplir le vide de son cerveau. Elle souriait doucement, quand elle entendait dire : « Ses enfants la battront, et ce sera bien fait. » À toutes choses, son allure indifférente semblait répondre : Qu’importe ! Elle s’occupait de son bien encore moins que de ses enfants. L’enclos des Fouque, pendant les longues années que dura cette singulière existence, serait devenu un terrain vague si la jeune femme n’avait eu la bonne chance de confier la culture de ses légumes à un habile maraîcher. Cet homme, qui devait partager les bénéfices avec elle, la volait impudemment, ce dont elle ne s’aperçut jamais. D’ailleurs, cela eut un heureux côté : pour la voler davantage, le maraîcher tira le plus grand parti possible du terrain, qui doubla presque de valeur. : Park and Suites propriétaires Soit qu’il fût averti par un instinct secret, soit qu’il eût déjà conscience de la façon différente dont l’accueillaient les gens du dehors, Pierre, l’enfant légitime, domina dès le bas âge son frère et sa sœur. Dans leurs querelles, bien qu’il fût beaucoup plus faible qu’Antoine, il le battait en maître. Quant à Ursule, pauvre petite créature chétive et pâle, elle était frappée aussi rudement par l’un que par l’autre. D’ailleurs, jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, les trois enfants se rouèrent de coups fraternellement, sans s’expliquer leur haine vague, sans comprendre d’une manière nette combien ils étaient étrangers. Ce fut seulement à cet âge qu’ils se trouvèrent face à face, avec leur personnalité consciente et arrêtée. : Propriétaire Park and Suites À seize ans, Antoine était un grand galopin, dans lequel les défauts de Macquart et d’Adélaïde se montraient déjà comme fondus. Macquart dominait cependant, avec son amour du vagabondage, sa tendance à l’ivrognerie, ses emportements de brute. Mais, sous l’influence nerveuse d’Adélaïde, ces vices qui, chez le père, avaient une sorte de franchise sanguine, prenaient, chez le fils, une sournoiserie pleine d’hypocrisie et de lâcheté. Antoine appartenait à sa mère par un manque absolu de volonté digne, par un égoïsme de femme voluptueuse qui lui faisait accepter n’importe quel lit d’infamie, pourvu qu’il s’y vautrât à l’aise et qu’il y dormît chaudement. On disait de lui : « Ah ! le brigand ! il n’a même pas, comme Macquart, le courage de sa gueuserie ; s’il assassine jamais, ce sera à coups d’épingle. » Au physique, Antoine n’avait que les lèvres charnues d’Adélaïde ; ses autres traits étaient ceux du contrebandier, mais adoucis, rendus fuyants et mobiles. : Park and Suites propriétaires Chez Ursule, au contraire, la ressemblance physique et morale de la jeune femme l’emportait ; c’était toujours un mélange intime ; seulement la pauvre petite, née la seconde, à l’heure où les tendresses d’Adélaïde dominaient l’amour déjà plus calme de Macquart, semblait avoir reçu avec son sexe, l’empreinte plus profonde du tempérament de sa mère. D’ailleurs, il n’y avait plus ici une fusion des deux natures, mais plutôt une juxtaposition, une soudure, singulièrement étroite. Ursule, fantasque, montrait par moments des sauvageries, des tristesses, des emportements de paria ; puis, le plus souvent, elle riait par éclats nerveux, elle rêvait avec mollesse, en femme folle du cœur et de la tête. Ses yeux, où passaient les regards effarés d’Adélaïde, étaient d’une limpidité de cristal, comme ceux des jeunes chats qui doivent mourir d’éthisie. : Park and Suites propriétaires En face des deux bâtards, Pierre semblait un étranger, il différait d’eux profondément, pour quiconque ne pénétrait pas les racines mêmes de son être. Jamais enfant ne fut à pareil point la moyenne équilibrée des deux créatures qui l’avaient engendré. Il était un juste milieu entre le paysan Rougon et la fille nerveuse Adélaïde. Sa mère avait en lui dégrossi le père. Ce sourd travail des tempéraments qui détermine à la longue l’amélioration ou la déchéance d’une race, paraissait obtenir chez Pierre un premier résultat. Il n’était toujours qu’un paysan, mais un paysan à la peau moins rude, au masque moins épais, à l’intelligence plus large et plus souple. Même son père et sa mère s’étaient chez lui corrigés l’un par l’autre. Si la nature d’Adélaïde, que la rébellion des nerfs affinait d’une façon exquise, avait combattu et amoindri les lourdeurs sanguines de Rougon, la masse pesante de celui-ci s’était opposée à ce que l’enfant reçût le contre-coup des détraquements de la jeune femme. Pierre ne connaissait ni les emportements ni les rêveries maladives des louveteaux de Macquart. Fort mal élevé, tapageur comme tous les enfants lâchés librement dans la vie, il possédait néanmoins un fond de sagesse raisonnée qui devait toujours l’empêcher de commettre une folie improductive. Ses vices, sa fainéantise, ses appétits de jouissance n’avaient pas l’élan instinctif des vices d’Antoine ; il entendait les cultiver et les contenter au grand jour, honorablement. Dans sa personne grasse, de taille moyenne, dans sa face longue, blafarde, où les traits de son père avaient pris certaines finesses du visage d’Adélaïde, on lisait déjà l’ambition sournoise et rusée, le besoin insatiable d’assouvissement, le cœur sec et l’envie haineuse d’un fils de paysan, dont la fortune et les nervosités de sa mère ont fait un bourgeois. : Park and Suites proprietaires Lorsque, à dix-sept ans, Pierre apprit et put comprendre les désordres d’Adélaïde et la singulière situation d’Antoine et d’Ursule, il ne parut ni triste ni indigné, mais simplement très-préoccupé du parti que ses intérêts lui conseillaient de prendre. Des trois enfants, lui seul avait suivi l’école avec une certaine assiduité. Un paysan qui commence à sentir la nécessité de l’instruction, devient le plus souvent un calculateur féroce. Ce fut à l’école que ses camarades, par leurs huées et la façon insultante dont ils traitaient son frère, lui donnèrent les premiers soupçons. Plus tard, il s’expliqua bien des regards, bien des paroles. Il vit enfin clairement la maison au pillage. Dès lors, Antoine et Ursule furent pour lui des parasites éhontés, des bouches qui dévoraient son bien. Quant à sa mère, il la regarda du même œil que le faubourg, comme une femme bonne à enfermer, qui finirait par manger son argent, s’il n’y mettait ordre. Ce qui acheva de le navrer, ce furent les vols du maraîcher. L’enfant tapageur se transforma, du jour au lendemain, en un garçon économe et égoïste, mûri hâtivement dans le sens de ses instincts par l’étrange vie de gaspillage qu’il ne pouvait voir maintenant autour de lui sans en avoir le cœur crevé. C’était à lui ces légumes sur la vente desquels le maraîcher prélevait les plus gros bénéfices ; c’était à lui, ce vin bu, ce pain mangé par les bâtards de sa mère. Toute la maison, toute la fortune étaient à lui. Dans sa logique de paysan, lui seul, fils légitime, devait hériter. Et comme les biens périclitaient, comme tout le monde mordait avidement à sa fortune future, il chercha le moyen de jeter ces gens à la porte, mère, frère, sœur, domestiques, et d’hériter immédiatement. : Park and Suites propriétaires La lutte fut cruelle. Le jeune homme comprit qu’il devait avant tout frapper sa mère. Il exécuta pas à pas, avec une patience tenace, un plan dont il avait longtemps mûri chaque détail. Sa tactique fut de se dresser devant Adélaïde comme un reproche vivant ; non pas qu’il s’emportât ni qu’il lui adressât des paroles amères sur son inconduite ; mais il avait trouvé une certaine façon de la regarder, sans mot dire, qui la terrifiait. Lorsqu’elle reparaissait, après un court séjour au logis de Macquart, elle ne levait plus les yeux sur son fils qu’en frissonnant ; elle sentait ses regards, froids et aigus comme des lames d’acier, qui la poignardaient, longuement, sans pitié. L’attitude sévère et silencieuse de Pierre, de cet enfant d’un homme qu’elle avait si vite oublié, troublait étrangement son pauvre cerveau malade. Elle se disait que Rougon ressuscitait pour la punir de ses désordres. Toutes les semaines, maintenant, elle était prise d’une de ces attaques nerveuses qui la brisaient ; on la laissait se débattre ; quand elle revenait à elle, elle rattachait ses vêtements, elle se traînait, plus faible. Souvent, elle sanglotait la nuit, se serrant la tête entre les mains, acceptant les blessures de Pierre comme les coups d’un dieu vengeur. D’autres fois, elle le reniait ; elle ne reconnaissait pas le sang de ses entrailles dans ce garçon épais, dont le calme glaçait si douloureusement sa fièvre. Elle eût mieux aimé mille fois être battue que d’être ainsi regardée en face. Ces regards implacables qui la suivaient partout, finirent par la secouer d’une façon si insupportable, qu’elle forma, à plusieurs reprises, le projet de ne plus revoir son amant ; mais, dès que Macquart arrivait, elle oubliait ses serments, elle courait à lui. Et la lutte recommençait à son retour, plus muette, plus terrible. Au bout de quelques mois, elle appartint à son fils. Elle était devant lui comme une petite fille qui n’est pas certaine de sa sagesse et qui craint toujours d’avoir mérité le fouet. Pierre, en habile garçon, lui avait lié les pieds et les mains, s’en était fait une servante soumise, sans ouvrir les lèvres, sans entrer dans des explications difficiles et compromettantes. : Park and Suites propriétaire Quand le jeune homme sentit sa mère en sa possession, qu’il put la traiter en esclave, il commença à exploiter dans son intérêt les faiblesses de son cerveau et la terreur folle qu’un seul de ses regards lui inspirait. Son premier soin, dès qu’il fut maître au logis, fut de congédier le maraîcher et de le remplacer par une créature à lui. Il prit la haute direction de la maison, vendant, achetant, tenant la caisse. Il ne chercha, d’ailleurs, ni à régler la conduite d’Adélaïde, ni à corriger Antoine et Ursule de leur paresse. Peu lui importait, car il comptait se débarrasser de ces gens à la première occasion. Il se contenta de leur mesurer le pain et l’eau. Puis, ayant déjà toute la fortune dans les mains, il attendit un événement qui lui permît d’en disposer à son gré. : Park and Suites propriétaires Les circonstances le servirent singulièrement. Il échappa à la conscription, à titre de fils aîné d’une femme veuve. Mais, deux ans plus tard, Antoine tomba au sort. Sa mauvaise chance le toucha peu ; il comptait que sa mère lui achèterait un homme. Adélaïde, en effet, voulut le sauver du service. Pierre, qui tenait l’argent, fit la sourde oreille. Le départ forcé de son frère était un heureux événement servant trop bien ses projets. Quand sa mère lui parla de cette affaire, il la regarda d’une telle façon qu’elle n’osa même pas achever. Son regard disait : « Vous voulez donc me ruiner pour votre bâtard ? » Elle abandonna Antoine, égoïstement, ayant avant tout besoin de paix et de liberté. Pierre, qui n’était pas pour les moyens violents, et qui se réjouissait de pouvoir mettre son frère à la porte sans querelle, joua alors le rôle d’un homme désespéré : l’année avait été mauvaise, l’argent manquait à la maison, il faudrait vendre un coin de terre, ce qui était le commencement de la ruine. Puis il donna sa parole à Antoine qu’il le rachèterait l’année suivante, bien décidé à n’en rien faire. Antoine partit, dupé, à demi content. : Park and Suites proprietaires Pierre se débarrassa d’Ursule d’une façon encore plus inattendue. Un ouvrier chapelier du faubourg, nommé Mouret, se prit d’une belle tendresse pour la jeune fille, qu’il trouvait frêle et blanche comme une demoiselle du quartier Saint-Marc. Il l’épousa. Ce fut de sa part un mariage d’amour, un véritable coup de tête, sans calcul aucun. Quant à Ursule, elle accepta ce mariage pour fuir une maison où son frère aîné lui rendait la vie intolérable. Sa mère, enfoncée dans ses jouissances, mettant ses dernières énergies à se défendre elle-même, en était arrivée à une indifférence complète ; elle fut même heureuse de son départ, espérant que Pierre, n’ayant plus aucun sujet de mécontentement, la laisserait vivre en paix, à sa guise. Dès que les jeunes gens furent mariés, Mouret comprit qu’il devait quitter Plassans, s’il ne voulait pas entendre chaque jour des paroles désobligeantes sur sa femme et sur sa belle-mère. Il partit, il emmena Ursule à Marseille où il travailla de son état. D’ailleurs, il n’avait pas demandé un sou de dot. Comme Pierre, surpris de ce désintéressement, s’était mis à balbutier, cherchant à lui donner des explications, il lui avait fermé la bouche en disant qu’il préférait gagner le pain de sa femme. Le digne fils du paysan Rougon demeura inquiet ; cette façon d’agir lui sembla cacher un piège. : Park and Suites propriétaires Restait Adélaïde. Pour rien au monde, Pierre ne voulait continuer à demeurer avec elle. Elle le compromettait. C’était par elle qu’il aurait désiré commencer. Mais il se trouvait pris entre deux alternatives fort embarrassantes : la garder, et alors recevoir les éclaboussures de sa honte, s’attacher au pied un boulet qui arrêterait l’élan de son ambition ; la chasser, et à coup sûr se faire montrer au doigt comme un mauvais fils, ce qui aurait dérangé ses calculs de bonhomie. Sentant qu’il allait avoir besoin de tout le monde, il souhaitait que son nom rentrât en grâce auprès de Plassans entier. Un seul moyen était à prendre, celui d’amener Adélaïde à s’en aller d’elle-même. Pierre ne négligeait rien pour obtenir ce résultat. Il se croyait parfaitement excusé de ses duretés par l’inconduite de sa mère. Il la punissait comme on punit un enfant. Les rôles étaient renversés. Sous cette férule toujours levée, la pauvre femme se courbait. Elle était à peine âgée de quarante-deux ans, et elle avait des balbutiements d’épouvante, des airs vagues et humbles de vieille femme tombée en enfance. Son fils continuait à la tuer de ses regards sévères, espérant qu’elle s’enfuirait, le jour où elle serait à bout de courage. La malheureuse souffrait horriblement de honte, de désirs contenus, de lâchetés acceptées, recevant passivement les coups et retournant quand même à Macquart, prête à mourir sur la place plutôt que de céder. Il y avait des nuits où elle se serait levée pour courir se jeter dans la Viorne, si sa chair faible de femme nerveuse n’avait eu une peur atroce de la mort. Plusieurs fois, elle rêva de fuir, d’aller retrouver son amant à la frontière. Ce qui la retenait au logis, dans les silences méprisants et les secrètes brutalités de son fils, c’était de ne savoir où se réfugier. Pierre sentait que depuis longtemps elle l’aurait quitté, si elle avait eu un asile. Il attendait l’occasion de lui louer quelque part un petit logement, lorsqu’un accident, sur lequel il n’osait compter, brusqua la réalisation de ses désirs. On apprit, dans le faubourg, que Macquart venait d’être tué à la frontière par le coup de feu d’un douanier, au moment où il entrait en France toute une cargaison de montres de Genève. L’histoire était vraie. On ne ramena pas même le corps du contrebandier, qui fut enterré dans le cimetière d’un petit village des montagnes. La douleur d’Adélaïde fut stupide. Son fils, qui l’observa curieusement, ne lui vit pas verser une larme. Macquart l’avait faite sa légataire. Elle hérita de la masure de l’impasse Saint-Mittre et de la carabine du défunt, qu’un contrebandier, échappé aux balles des douaniers, lui rapporta loyalement. Dès le lendemain, elle se retira dans la petite maison ; elle pendit la carabine au-dessus de la cheminée, et vécut là, étrangère au monde, solitaire, muette. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES Enfin, Pierre Rougon était seul maître au logis. L’enclos des Fouque lui appartenait en fait, sinon légalement. Jamais il n’avait compté s’y établir. C’était un champ trop étroit pour son ambition. Travailler à la terre, soigner des légumes, lui semblait grossier, indigne de ses facultés. Il avait hâte de n’être plus un paysan. Sa nature, affinée par le tempérament nerveux de sa mère, éprouvait des besoins irrésistibles de jouissances bourgeoises. Aussi, dans chacun de ses calculs, avait-il vu, comme dénouement, la vente de l’enclos des Fouque. Cette vente, en lui mettant dans les mains une somme assez ronde, devait lui permettre d’épouser la fille de quelque négociant qui le prendrait comme associé. En ce temps-là, les guerres de l’empire éclaircissaient singulièrement les rangs des jeunes hommes à marier. Les parents se montraient moins difficiles dans le choix d’un gendre. Pierre se disait que l’argent arrangerait tout, et qu’on passerait aisément sur les commérages du faubourg ; il entendait se poser en victime, en brave cœur qui souffre des hontes de sa famille, qui les déplore, sans en être atteint et sans les excuser. Depuis plusieurs mois, il avait jeté ses vues sur la fille d’un marchand d’huile, Félicité Puech. La maison Puech et Lacamp, dont les magasins se trouvaient dans une des ruelles les plus noires du vieux quartier, était loin de prospérer. Elle avait un crédit douteux sur la place, on parlait vaguement de faillite. Ce fut justement à cause de ces mauvais bruits que Rougon dressa ses batteries de ce côté. Jamais un commerçant à son aise ne lui eût donné sa fille. Il comptait arriver lorsque le vieux Puech ne saurait plus par où passer, lui acheter Félicité et relever ensuite la maison par son intelligence et son énergie. C’était une façon habile de gravir un échelon, de s’élever d’un cran au-dessus de sa classe. Il voulait, avant tout, fuir cet affreux faubourg où l’on clabaudait sur sa famille, faire oublier les sales légendes, en effaçant jusqu’au nom de l’enclos des Fouque. Aussi les rues puantes du vieux quartier lui semblaient-elles un paradis. Là seulement il devait faire peau neuve. : Park and Suites propriétaires Bientôt le moment qu’il guettait arriva. La maison Puech et Lacamp râlait. Le jeune homme négocia alors son mariage avec une adresse prudente. Il fut accueilli, sinon comme un sauveur, du moins comme un expédient nécessaire et acceptable. Le mariage arrêté, il s’occupa activement de la vente de l’enclos. Le propriétaire du Jas-Meiffren, désirant arrondir ses terres, lui avait déjà fait des offres à plusieurs reprises ; un mur mitoyen, bas et mince, séparait seul les deux propriétés. Pierre spécula sur les désirs de son voisin, homme fort riche, qui, pour contenter un caprice, alla jusqu’à donner cinquante mille francs de l’enclos.