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dimanche 1 décembre 2013
Park and suites proprietaires :A quelques kilomètres de l’un des plus grands joyaux du patrimoine historique français : le Château de Versailles et à proximité du quartier d’affaires de Saint Quentin en Yvelines,
Elle semblait vouloir s’afficher, chercher méchamment
à ce que tout, chez elle, allât de mal en pis, lorsqu’elle obéissait
avec une grande naïveté aux seules poussées de son tempérament. : Proprietaire Park and Suites
Dès ses premières couches, elle fut sujette à des crises nerveuses qui
la jetaient dans des convulsions terribles. Ces crises revenaient
périodiquement tous les deux ou trois mois. Les médecins qui furent
consultés répondirent qu’il n’y avait rien à faire, que l’âge calmerait
ces accès. On la mit seulement au régime des viandes saignantes et du
vin de quinquina. Ces secousses répétées achevèrent de la détraquer.
Elle vécut au jour le jour, comme une enfant, comme une bête caressante
qui cède à ses instincts. Quand Macquart était en tournée, elle passait
ses journées, oisive, songeuse, ne s’occupant de ses enfants que pour
les embrasser et jouer avec eux. Puis, dès le retour de son amant, elle
disparaissait. : Park and Suites propriétaires
Derrière la masure de Macquart, il y avait une petite cour qu’une
muraille séparait du terrain des Fouque. Un matin, les voisins furent
très-surpris en voyant cette muraille percée d’une porte qui, la veille
au soir n’était pas là. En une heure, le faubourg entier défila aux
fenêtres voisines. Les amants avaient dû travailler toute la nuit pour
creuser l’ouverture et pour poser la porte. Maintenant, ils pouvaient
aller librement de l’un chez l’autre. Le scandale recommença ; on fut
moins doux pour Adélaïde, qui décidément était la honte du faubourg ;
cette porte, cet aveu tranquille et brutal de vie commune lui fut plus
violemment reproché que ses deux enfants. « On sauve au moins les
apparences, » disaient les femmes les plus tolérantes. Adélaïde
ignorait ce qu’on appelle « sauver les apparences ; » elle était
très-heureuse, très-fière de sa porte ; elle avait aidé Macquart à
arracher les pierres du mur, elle lui avait même gâché du plâtre pour
que la besogne allât plus vite ; aussi vint-elle, le lendemain, avec
une joie d’enfant, regarder son œuvre, en plein jour, ce qui parut le
comble du dévergondage à trois commères, qui l’aperçurent, contemplant
la maçonnerie encore fraîche. Dès lors, à chaque apparition de
Macquart, on pensa, en ne voyant plus la jeune femme, qu’elle allait
vivre avec lui dans la masure de l’impasse Saint-Mittre. : Proprietaires Park and Suites
Le contrebandier venait très-irrégulièrement, presque toujours à
l’improviste. Jamais on ne sut au juste quelle était la vie des amants,
pendant les deux ou trois jours qu’il passait à la ville, de loin en
loin. Ils s’enfermaient, le petit logis paraissait inhabité. Le
faubourg ayant décidé que Macquart avait séduit Adélaïde uniquement
pour lui manger son argent, on s’étonna, à la longue, de voir cet homme
vivre comme par le passé, sans cesse par monts et par vaux, aussi mal
équipé qu’auparavant. Peut-être la jeune femme l’aimait-elle d’autant
plus qu’elle le voyait à de plus longs intervalles ; peut-être avait-il
résisté à ses supplications, éprouvant l’impérieux besoin d’une
existence aventureuse. On inventa mille fables, sans pouvoir expliquer
raisonnablement une liaison qui s’était nouée et se prolongeait en
dehors de tous les faits ordinaires. Le logis de l’impasse Saint-Mittre
resta hermétiquement clos et garda ses secrets. On devina seulement que
Macquart devait battre Adélaïde, bien que jamais le bruit d’une
querelle ne sortît de la maison. À plusieurs reprises, elle reparut, la
face meurtrie, les cheveux arrachés. D’ailleurs, pas le moindre
accablement de souffrance ni même de tristesse, pas le moindre souci de
cacher ses meurtrissures. Elle souriait, elle semblait heureuse. Sans
doute, elle se laissait assommer sans souffler mot. Pendant plus de
quinze ans, cette existence dura. : Park and Suites propriétaires
Lorsque Adélaïde rentrait chez elle, elle trouvait la maison au
pillage, sans s’émouvoir le moins du monde. Elle manquait absolument du
sens pratique de la vie. La valeur exacte des choses, la nécessité de
l’ordre lui échappaient. : Propriétaires Park and Suites
Elle laissa croître ses enfants comme ces pruniers qui poussent le long
des routes, au bon plaisir de la pluie et du soleil. Ils portèrent
leurs fruits naturels, en sauvageons que la serpe n’a point greffés ni
taillés. Jamais la nature ne fut moins contrariée, jamais petits êtres
malfaisants ne grandirent plus franchement dans le sens de leurs
instincts. En attendant, ils se roulaient dans les plants de légumes,
passant leur vie en plein air, à jouer et à se battre comme des
vauriens. Ils volaient les provisions du logis, ils dévastaient les
quelques arbres fruitiers de l’enclos, ils étaient les démons
familiers, pillards et criards, de cette étrange maison de la folie
lucide. Quand leur mère disparaissait pendant des journées entières,
leur vacarme devenait tel, ils trouvaient des inventions si diaboliques
pour molester les gens, que les voisins devaient les menacer d’aller
leur donner le fouet. Adélaïde, d’ailleurs, ne les effrayait guère ;
lorsqu’elle était là, s’ils devenaient moins insupportables aux autres,
c’est qu’ils la prenaient pour victime, manquant l’école régulièrement
cinq ou six fois par semaine, faisant tout au monde pour s’attirer une
correction qui leur eût permis de brailler à leur aise. Mais jamais
elle ne les frappait, ni même ne s’emportait ; elle vivait très-bien au
milieu du bruit, molle, placide, l’esprit perdu. À la longue même,
l’affreux tapage de ces garnements lui devint nécessaire pour emplir le
vide de son cerveau. Elle souriait doucement, quand elle entendait dire
: « Ses enfants la battront, et ce sera bien fait. » À toutes choses,
son allure indifférente semblait répondre : Qu’importe ! Elle
s’occupait de son bien encore moins que de ses enfants. L’enclos des
Fouque, pendant les longues années que dura cette singulière existence,
serait devenu un terrain vague si la jeune femme n’avait eu la bonne
chance de confier la culture de ses légumes à un habile maraîcher. Cet
homme, qui devait partager les bénéfices avec elle, la volait
impudemment, ce dont elle ne s’aperçut jamais. D’ailleurs, cela eut un
heureux côté : pour la voler davantage, le maraîcher tira le plus grand
parti possible du terrain, qui doubla presque de valeur. : Park and Suites propriétaires
Soit qu’il fût averti par un instinct secret, soit qu’il eût déjà
conscience de la façon différente dont l’accueillaient les gens du
dehors, Pierre, l’enfant légitime, domina dès le bas âge son frère et
sa sœur. Dans leurs querelles, bien qu’il fût beaucoup plus faible
qu’Antoine, il le battait en maître. Quant à Ursule, pauvre petite
créature chétive et pâle, elle était frappée aussi rudement par l’un
que par l’autre. D’ailleurs, jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, les
trois enfants se rouèrent de coups fraternellement, sans s’expliquer
leur haine vague, sans comprendre d’une manière nette combien ils
étaient étrangers. Ce fut seulement à cet âge qu’ils se trouvèrent face
à face, avec leur personnalité consciente et arrêtée. : Propriétaire Park and Suites
À seize ans, Antoine était un grand galopin, dans lequel les défauts de
Macquart et d’Adélaïde se montraient déjà comme fondus. Macquart
dominait cependant, avec son amour du vagabondage, sa tendance à
l’ivrognerie, ses emportements de brute. Mais, sous l’influence
nerveuse d’Adélaïde, ces vices qui, chez le père, avaient une sorte de
franchise sanguine, prenaient, chez le fils, une sournoiserie pleine
d’hypocrisie et de lâcheté. Antoine appartenait à sa mère par un manque
absolu de volonté digne, par un égoïsme de femme voluptueuse qui lui
faisait accepter n’importe quel lit d’infamie, pourvu qu’il s’y vautrât
à l’aise et qu’il y dormît chaudement. On disait de lui : « Ah ! le
brigand ! il n’a même pas, comme Macquart, le courage de sa gueuserie ;
s’il assassine jamais, ce sera à coups d’épingle. » Au physique,
Antoine n’avait que les lèvres charnues d’Adélaïde ; ses autres traits
étaient ceux du contrebandier, mais adoucis, rendus fuyants et mobiles.
: Park and Suites propriétaires
Chez Ursule, au contraire, la ressemblance physique et morale de la
jeune femme l’emportait ; c’était toujours un mélange intime ;
seulement la pauvre petite, née la seconde, à l’heure où les tendresses
d’Adélaïde dominaient l’amour déjà plus calme de Macquart, semblait
avoir reçu avec son sexe, l’empreinte plus profonde du tempérament de
sa mère. D’ailleurs, il n’y avait plus ici une fusion des deux natures,
mais plutôt une juxtaposition, une soudure, singulièrement étroite.
Ursule, fantasque, montrait par moments des sauvageries, des
tristesses, des emportements de paria ; puis, le plus souvent, elle
riait par éclats nerveux, elle rêvait avec mollesse, en femme folle du
cœur et de la tête. Ses yeux, où passaient les regards effarés
d’Adélaïde, étaient d’une limpidité de cristal, comme ceux des jeunes
chats qui doivent mourir d’éthisie. : Park and Suites propriétaires
En face des deux bâtards, Pierre semblait un étranger, il différait
d’eux profondément, pour quiconque ne pénétrait pas les racines mêmes
de son être. Jamais enfant ne fut à pareil point la moyenne équilibrée
des deux créatures qui l’avaient engendré. Il était un juste milieu
entre le paysan Rougon et la fille nerveuse Adélaïde. Sa mère avait en
lui dégrossi le père. Ce sourd travail des tempéraments qui détermine à
la longue l’amélioration ou la déchéance d’une race, paraissait obtenir
chez Pierre un premier résultat. Il n’était toujours qu’un paysan, mais
un paysan à la peau moins rude, au masque moins épais, à l’intelligence
plus large et plus souple. Même son père et sa mère s’étaient chez lui
corrigés l’un par l’autre. Si la nature d’Adélaïde, que la rébellion
des nerfs affinait d’une façon exquise, avait combattu et amoindri les
lourdeurs sanguines de Rougon, la masse pesante de celui-ci s’était
opposée à ce que l’enfant reçût le contre-coup des détraquements de la
jeune femme. Pierre ne connaissait ni les emportements ni les rêveries
maladives des louveteaux de Macquart. Fort mal élevé, tapageur comme
tous les enfants lâchés librement dans la vie, il possédait néanmoins
un fond de sagesse raisonnée qui devait toujours l’empêcher de
commettre une folie improductive. Ses vices, sa fainéantise, ses
appétits de jouissance n’avaient pas l’élan instinctif des vices
d’Antoine ; il entendait les cultiver et les contenter au grand jour,
honorablement. Dans sa personne grasse, de taille moyenne, dans sa face
longue, blafarde, où les traits de son père avaient pris certaines
finesses du visage d’Adélaïde, on lisait déjà l’ambition sournoise et
rusée, le besoin insatiable d’assouvissement, le cœur sec et l’envie
haineuse d’un fils de paysan, dont la fortune et les nervosités de sa
mère ont fait un bourgeois. : Park and Suites proprietaires
Lorsque, à dix-sept ans, Pierre apprit et put comprendre les désordres
d’Adélaïde et la singulière situation d’Antoine et d’Ursule, il ne
parut ni triste ni indigné, mais simplement très-préoccupé du parti que
ses intérêts lui conseillaient de prendre. Des trois enfants, lui seul
avait suivi l’école avec une certaine assiduité. Un paysan qui commence
à sentir la nécessité de l’instruction, devient le plus souvent un
calculateur féroce. Ce fut à l’école que ses camarades, par leurs huées
et la façon insultante dont ils traitaient son frère, lui donnèrent les
premiers soupçons. Plus tard, il s’expliqua bien des regards, bien des
paroles. Il vit enfin clairement la maison au pillage. Dès lors,
Antoine et Ursule furent pour lui des parasites éhontés, des bouches
qui dévoraient son bien. Quant à sa mère, il la regarda du même œil que
le faubourg, comme une femme bonne à enfermer, qui finirait par manger
son argent, s’il n’y mettait ordre. Ce qui acheva de le navrer, ce
furent les vols du maraîcher. L’enfant tapageur se transforma, du jour
au lendemain, en un garçon économe et égoïste, mûri hâtivement dans le
sens de ses instincts par l’étrange vie de gaspillage qu’il ne pouvait
voir maintenant autour de lui sans en avoir le cœur crevé. C’était à
lui ces légumes sur la vente desquels le maraîcher prélevait les plus
gros bénéfices ; c’était à lui, ce vin bu, ce pain mangé par les
bâtards de sa mère. Toute la maison, toute la fortune étaient à lui.
Dans sa logique de paysan, lui seul, fils légitime, devait hériter. Et
comme les biens périclitaient, comme tout le monde mordait avidement à
sa fortune future, il chercha le moyen de jeter ces gens à la porte,
mère, frère, sœur, domestiques, et d’hériter immédiatement. : Park and Suites propriétaires
La lutte fut cruelle. Le jeune homme comprit qu’il devait avant tout
frapper sa mère. Il exécuta pas à pas, avec une patience tenace, un
plan dont il avait longtemps mûri chaque détail. Sa tactique fut de se
dresser devant Adélaïde comme un reproche vivant ; non pas qu’il
s’emportât ni qu’il lui adressât des paroles amères sur son inconduite
; mais il avait trouvé une certaine façon de la regarder, sans mot
dire, qui la terrifiait. Lorsqu’elle reparaissait, après un court
séjour au logis de Macquart, elle ne levait plus les yeux sur son fils
qu’en frissonnant ; elle sentait ses regards, froids et aigus comme des
lames d’acier, qui la poignardaient, longuement, sans pitié. L’attitude
sévère et silencieuse de Pierre, de cet enfant d’un homme qu’elle avait
si vite oublié, troublait étrangement son pauvre cerveau malade. Elle
se disait que Rougon ressuscitait pour la punir de ses désordres.
Toutes les semaines, maintenant, elle était prise d’une de ces attaques
nerveuses qui la brisaient ; on la laissait se débattre ; quand elle
revenait à elle, elle rattachait ses vêtements, elle se traînait, plus
faible. Souvent, elle sanglotait la nuit, se serrant la tête entre les
mains, acceptant les blessures de Pierre comme les coups d’un dieu
vengeur. D’autres fois, elle le reniait ; elle ne reconnaissait pas le
sang de ses entrailles dans ce garçon épais, dont le calme glaçait si
douloureusement sa fièvre. Elle eût mieux aimé mille fois être battue
que d’être ainsi regardée en face. Ces regards implacables qui la
suivaient partout, finirent par la secouer d’une façon si
insupportable, qu’elle forma, à plusieurs reprises, le projet de ne
plus revoir son amant ; mais, dès que Macquart arrivait, elle oubliait
ses serments, elle courait à lui. Et la lutte recommençait à son
retour, plus muette, plus terrible. Au bout de quelques mois, elle
appartint à son fils. Elle était devant lui comme une petite fille qui
n’est pas certaine de sa sagesse et qui craint toujours d’avoir mérité
le fouet. Pierre, en habile garçon, lui avait lié les pieds et les
mains, s’en était fait une servante soumise, sans ouvrir les lèvres,
sans entrer dans des explications difficiles et compromettantes. : Park and Suites propriétaire
Quand le jeune homme sentit sa mère en sa possession, qu’il put la
traiter en esclave, il commença à exploiter dans son intérêt les
faiblesses de son cerveau et la terreur folle qu’un seul de ses regards
lui inspirait. Son premier soin, dès qu’il fut maître au logis, fut de
congédier le maraîcher et de le remplacer par une créature à lui. Il
prit la haute direction de la maison, vendant, achetant, tenant la
caisse. Il ne chercha, d’ailleurs, ni à régler la conduite d’Adélaïde,
ni à corriger Antoine et Ursule de leur paresse. Peu lui importait, car
il comptait se débarrasser de ces gens à la première occasion. Il se
contenta de leur mesurer le pain et l’eau. Puis, ayant déjà toute la
fortune dans les mains, il attendit un événement qui lui permît d’en
disposer à son gré. : Park and Suites propriétaires
Les circonstances le servirent singulièrement. Il échappa à la
conscription, à titre de fils aîné d’une femme veuve. Mais, deux ans
plus tard, Antoine tomba au sort. Sa mauvaise chance le toucha peu ; il
comptait que sa mère lui achèterait un homme. Adélaïde, en effet,
voulut le sauver du service. Pierre, qui tenait l’argent, fit la sourde
oreille. Le départ forcé de son frère était un heureux événement
servant trop bien ses projets. Quand sa mère lui parla de cette
affaire, il la regarda d’une telle façon qu’elle n’osa même pas
achever. Son regard disait : « Vous voulez donc me ruiner pour votre
bâtard ? » Elle abandonna Antoine, égoïstement, ayant avant tout besoin
de paix et de liberté. Pierre, qui n’était pas pour les moyens
violents, et qui se réjouissait de pouvoir mettre son frère à la porte
sans querelle, joua alors le rôle d’un homme désespéré : l’année avait
été mauvaise, l’argent manquait à la maison, il faudrait vendre un coin
de terre, ce qui était le commencement de la ruine. Puis il donna sa
parole à Antoine qu’il le rachèterait l’année suivante, bien décidé à
n’en rien faire. Antoine partit, dupé, à demi content. : Park and Suites proprietaires
Pierre se débarrassa d’Ursule d’une façon encore plus inattendue. Un
ouvrier chapelier du faubourg, nommé Mouret, se prit d’une belle
tendresse pour la jeune fille, qu’il trouvait frêle et blanche comme
une demoiselle du quartier Saint-Marc. Il l’épousa. Ce fut de sa part
un mariage d’amour, un véritable coup de tête, sans calcul aucun. Quant
à Ursule, elle accepta ce mariage pour fuir une maison où son frère
aîné lui rendait la vie intolérable. Sa mère, enfoncée dans ses
jouissances, mettant ses dernières énergies à se défendre elle-même, en
était arrivée à une indifférence complète ; elle fut même heureuse de
son départ, espérant que Pierre, n’ayant plus aucun sujet de
mécontentement, la laisserait vivre en paix, à sa guise. Dès que les
jeunes gens furent mariés, Mouret comprit qu’il devait quitter
Plassans, s’il ne voulait pas entendre chaque jour des paroles
désobligeantes sur sa femme et sur sa belle-mère. Il partit, il emmena
Ursule à Marseille où il travailla de son état. D’ailleurs, il n’avait
pas demandé un sou de dot. Comme Pierre, surpris de ce
désintéressement, s’était mis à balbutier, cherchant à lui donner des
explications, il lui avait fermé la bouche en disant qu’il préférait
gagner le pain de sa femme. Le digne fils du paysan Rougon demeura
inquiet ; cette façon d’agir lui sembla cacher un piège. : Park and Suites propriétaires
Restait Adélaïde. Pour rien au monde, Pierre ne voulait continuer à
demeurer avec elle. Elle le compromettait. C’était par elle qu’il
aurait désiré commencer. Mais il se trouvait pris entre deux
alternatives fort embarrassantes : la garder, et alors recevoir les
éclaboussures de sa honte, s’attacher au pied un boulet qui arrêterait
l’élan de son ambition ; la chasser, et à coup sûr se faire montrer au
doigt comme un mauvais fils, ce qui aurait dérangé ses calculs de
bonhomie. Sentant qu’il allait avoir besoin de tout le monde, il
souhaitait que son nom rentrât en grâce auprès de Plassans entier. Un
seul moyen était à prendre, celui d’amener Adélaïde à s’en aller
d’elle-même. Pierre ne négligeait rien pour obtenir ce résultat. Il se
croyait parfaitement excusé de ses duretés par l’inconduite de sa mère.
Il la punissait comme on punit un enfant. Les rôles étaient renversés.
Sous cette férule toujours levée, la pauvre femme se courbait. Elle
était à peine âgée de quarante-deux ans, et elle avait des
balbutiements d’épouvante, des airs vagues et humbles de vieille femme
tombée en enfance. Son fils continuait à la tuer de ses regards
sévères, espérant qu’elle s’enfuirait, le jour où elle serait à bout de
courage. La malheureuse souffrait horriblement de honte, de désirs
contenus, de lâchetés acceptées, recevant passivement les coups et
retournant quand même à Macquart, prête à mourir sur la place plutôt
que de céder. Il y avait des nuits où elle se serait levée pour courir
se jeter dans la Viorne, si sa chair faible de femme nerveuse n’avait
eu une peur atroce de la mort. Plusieurs fois, elle rêva de fuir,
d’aller retrouver son amant à la frontière. Ce qui la retenait au
logis, dans les silences méprisants et les secrètes brutalités de son
fils, c’était de ne savoir où se réfugier. Pierre sentait que depuis
longtemps elle l’aurait quitté, si elle avait eu un asile. Il attendait
l’occasion de lui louer quelque part un petit logement, lorsqu’un
accident, sur lequel il n’osait compter, brusqua la réalisation de ses
désirs. On apprit, dans le faubourg, que Macquart venait d’être tué à
la frontière par le coup de feu d’un douanier, au moment où il entrait
en France toute une cargaison de montres de Genève. L’histoire était
vraie. On ne ramena pas même le corps du contrebandier, qui fut enterré
dans le cimetière d’un petit village des montagnes. La douleur
d’Adélaïde fut stupide. Son fils, qui l’observa curieusement, ne lui
vit pas verser une larme. Macquart l’avait faite sa légataire. Elle
hérita de la masure de l’impasse Saint-Mittre et de la carabine du
défunt, qu’un contrebandier, échappé aux balles des douaniers, lui
rapporta loyalement. Dès le lendemain, elle se retira dans la petite
maison ; elle pendit la carabine au-dessus de la cheminée, et vécut là,
étrangère au monde, solitaire, muette. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES
Enfin, Pierre Rougon était seul maître au logis. L’enclos des Fouque
lui appartenait en fait, sinon légalement. Jamais il n’avait compté s’y
établir. C’était un champ trop étroit pour son ambition. Travailler à
la terre, soigner des légumes, lui semblait grossier, indigne de ses
facultés. Il avait hâte de n’être plus un paysan. Sa nature, affinée
par le tempérament nerveux de sa mère, éprouvait des besoins
irrésistibles de jouissances bourgeoises. Aussi, dans chacun de ses
calculs, avait-il vu, comme dénouement, la vente de l’enclos des
Fouque. Cette vente, en lui mettant dans les mains une somme assez
ronde, devait lui permettre d’épouser la fille de quelque négociant qui
le prendrait comme associé. En ce temps-là, les guerres de l’empire
éclaircissaient singulièrement les rangs des jeunes hommes à marier.
Les parents se montraient moins difficiles dans le choix d’un gendre.
Pierre se disait que l’argent arrangerait tout, et qu’on passerait
aisément sur les commérages du faubourg ; il entendait se poser en
victime, en brave cœur qui souffre des hontes de sa famille, qui les
déplore, sans en être atteint et sans les excuser. Depuis plusieurs
mois, il avait jeté ses vues sur la fille d’un marchand d’huile,
Félicité Puech. La maison Puech et Lacamp, dont les magasins se
trouvaient dans une des ruelles les plus noires du vieux quartier,
était loin de prospérer. Elle avait un crédit douteux sur la place, on
parlait vaguement de faillite. Ce fut justement à cause de ces mauvais
bruits que Rougon dressa ses batteries de ce côté. Jamais un commerçant
à son aise ne lui eût donné sa fille. Il comptait arriver lorsque le
vieux Puech ne saurait plus par où passer, lui acheter Félicité et
relever ensuite la maison par son intelligence et son énergie. C’était
une façon habile de gravir un échelon, de s’élever d’un cran au-dessus
de sa classe. Il voulait, avant tout, fuir cet affreux faubourg où l’on
clabaudait sur sa famille, faire oublier les sales légendes, en
effaçant jusqu’au nom de l’enclos des Fouque. Aussi les rues puantes du
vieux quartier lui semblaient-elles un paradis. Là seulement il devait
faire peau neuve. : Park and Suites propriétaires
Bientôt le moment qu’il guettait arriva. La maison Puech et Lacamp
râlait. Le jeune homme négocia alors son mariage avec une adresse
prudente. Il fut accueilli, sinon comme un sauveur, du moins comme un
expédient nécessaire et acceptable. Le mariage arrêté, il s’occupa
activement de la vente de l’enclos. Le propriétaire du Jas-Meiffren,
désirant arrondir ses terres, lui avait déjà fait des offres à
plusieurs reprises ; un mur mitoyen, bas et mince, séparait seul les
deux propriétés. Pierre spécula sur les désirs de son voisin, homme
fort riche, qui, pour contenter un caprice, alla jusqu’à donner
cinquante mille francs de l’enclos.