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dimanche 1 décembre 2013
Park And Suites propriétaires:L'appart-hôtel Park&Suites Village Montévrain est implanté au coeur d’un grand pôle d’activité, dans la ville nouvelle de Marne-La-Vallée. A proximité de Disneyland® Paris et du centre commercial du Val d’Europe, l'établissement bénéficie de l’ensemble des infrastructures de transport.
C’était le payer deux fois sa
valeur. D’ailleurs, Pierre se faisait tirer l’oreille avec une
sournoiserie de paysan, disant qu’il ne voulait pas vendre, que sa mère
ne consentirait jamais à se défaire d’un bien où les Fouque, depuis
près de deux siècles, avaient vécu de père en fils. Tout en paraissant
hésiter, il préparait la vente. Des inquiétudes lui étaient venues.
Selon sa logique brutale, l’enclos lui appartenait, il avait le droit
d’en disposer à son gré. Cependant, au fond de cette assurance,
s’agitait le vague pressentiment des complications du Code. Il se
décida à consulter indirectement un huissier du faubourg. : PROPRIETAIRES PARK AND SUITES
Il en apprit de belles. D’après l’huissier, il avait les mains
absolument liées. Sa mère seule pouvait aliéner l’enclos, ce dont il se
doutait. Mais ce qu’il ignorait, ce qui fut pour lui un coup de massue,
c’était qu’Ursule et Antoine, les bâtards, les louveteaux, eussent des
droits sur cette propriété. Comment ! ces canailles allaient le
dépouiller, le voler, lui l’enfant légitime ! Les explications de
l’huissier étaient claires et précises : Adélaïde avait, il est vrai,
épousé Rougon sous le régime de la communauté ; mais toute la fortune
consistant en biens-fonds, la jeune femme, selon la loi, était rentrée
en possession de cette fortune, à la mort de son mari ; d’un autre
côté, Macquart et Adélaïde avaient reconnu leurs enfants qui dès lors
devaient hériter de leur mère. Comme unique consolation, Pierre apprit
que le Code rognait la part des bâtards au profit des enfants
légitimes. Cela ne le consola nullement. Il voulait tout. Il n’aurait
pas partagé dix sous entre Ursule et Antoine. Cette échappée sur les
complications du Code lui ouvrit de nouveaux horizons, qu’il sonda d’un
air singulièrement songeur. Il comprit vite qu’un homme habile doit
toujours mettre la loi de son côté. Et voici ce qu’il trouva, sans
consulter personne, pas même l’huissier, auquel il craignait de donner
l’éveil. Il savait pouvoir disposer de sa mère comme d’une chose. Un
matin, il la mena chez un notaire et lui fit signer un acte de vente.
Pourvu qu’on lui laissât son taudis de l’impasse Saint-Mittre, Adélaïde
aurait vendu Plassans. Pierre lui assurait, d’ailleurs, une rente
annuelle de six cents francs, et lui jurait ses grands dieux qu’il
veillerait sur son frère et sa sœur. Un tel serment suffisait à la
bonne femme. Elle récita au notaire la leçon qu’il plut à son fils de
lui souffler. Le lendemain, le jeune homme lui fit mettre son nom au
bas d’un reçu, dans lequel elle reconnaissait avoir touché cinquante
mille francs, comme prix de l’enclos. Ce fut là son coup de génie, un
acte de fripon. Il se contenta de dire à sa mère, étonnée d’avoir à
signer un pareil reçu, lorsqu’elle n’avait pas vu un centime des
cinquante mille francs, que c’était une simple formalité ne tirant pas
à conséquence. En glissant le papier dans sa poche, il pensait : «
Maintenant, les louveteaux peuvent me demander des comptes. Je leur
dirai que la vieille a tout mangé. Ils n’oseront jamais me faire un
procès. » Huit jours après, le mur mitoyen n’existait plus, la charrue
avait retourné la terre des plants de légumes ; l’enclos des Fouque,
selon le désir du jeune Rougon, allait devenir un souvenir légendaire.
Quelques mois plus tard, le propriétaire du Jas-Meiffren fit même
démolir l’ancien logis des maraîchers, qui tombait en ruine. : Park and Suites propriétaires
Quand Pierre eut les cinquante mille francs entre les mains, il épousa
Félicité Puech, dans les délais strictement nécessaires. Félicité était
une petite femme noire, comme on en voit en Provence. On eût dit une de
ces cigales brunes, sèches, stridentes, aux vols brusques, qui se
cognent la tête dans les amandiers. Maigre, la gorge plate, les épaules
pointues, le visage en museau de fouine, singulièrement fouillé et
accentué, elle n’avait pas d’âge ; on lui eût donné quinze ans ou
trente ans, bien qu’elle en eût en réalité dix-neuf, quatre de moins
que son mari. Il y avait une ruse de chatte au fond de ses yeux noirs,
étroits, pareils à des trous de vrille. Son front bas et bombé ; son
nez légèrement déprimé à la racine, et dont les narines s’évasaient
ensuite, fines et frémissantes, comme pour mieux goûter les odeurs ; la
mince ligne rouge de ses lèvres, la proéminence de son menton qui se
rattachait aux joues par des creux étranges ; toute cette physionomie
de naine futée était comme le masque vivant de l’intrigue, de
l’ambition active et envieuse. Avec sa laideur, Félicité avait une
grâce à elle, qui la rendait séduisante. On disait d’elle, qu’elle
était jolie ou laide à volonté. Cela devait dépendre de la façon dont
elle nouait ses cheveux, qui étaient superbes ; mais cela dépendait
plus encore du sourire triomphant qui illuminait son teint doré,
lorsqu’elle croyait l’emporter sur quelqu’un. Née avec une sorte de
mauvaise chance, se jugeant mal partagée par la fortune, elle
consentait le plus souvent à n’être qu’un laideron. D’ailleurs, elle
n’abandonnait pas la lutte, elle s’était promis de faire un jour crever
d’envie la ville entière par l’étalage d’un bonheur et d’un luxe
insolents. Et si elle avait pu jouer sa vie sur une scène plus vaste,
où son esprit délié se fût développé à l’aise, elle aurait à coup sûr
réalisé promptement son rêve. Elle était d’une intelligence fort
supérieure à celle des filles de sa classe et de son instruction. Les
méchantes langues prétendaient que sa mère, morte quelques années après
sa naissance, avait, dans les premiers temps de son mariage, été
intimement liée avec le marquis de Carnavant, un jeune noble du
quartier Saint-Marc. La vérité était que Félicité avait des pieds et
des mains de marquise, et qui semblaient ne pas devoir appartenir à la
race des travailleurs dont elle descendait. : PROPRIETAIRE PARK AND SUITES
Le vieux quartier s’étonna, un mois durant, de lui voir épouser Pierre
Rougon, ce paysan à peine dégrossi, cet homme du faubourg, dont la
famille n’était guère en odeur de sainteté. Elle laissa clabauder,
accueillant par de singuliers sourires les félicitations contraintes de
ses amies. Ses calculs étaient faits, elle choisissait Rougon en fille
qui prend un mari comme on prend un complice. Son père, en acceptant le
jeune homme, ne voyait que l’apport des cinquante mille francs qui
allaient le sauver de la faillite. Mais Félicité avait de meilleurs
yeux. Elle regardait au loin dans l’avenir, et elle se sentait le
besoin d’un homme bien portant, un peu rustre même, derrière lequel
elle pût se cacher, et dont elle fît aller à son gré les bras et les
jambes. Elle avait une haine raisonnée pour les petits messieurs de
province, pour ce peuple efflanqué de clercs de notaire, de futurs
avocats, qui grelottent dans l’espérance d’une clientèle. Sans la
moindre dot, désespérant d’épouser le fils d’un gros négociant, elle
préférait mille fois un paysan, qu’elle comptait employer comme un
instrument passif, à quelque maigre bachelier qui l’écraserait de sa
supériorité de collégien et la traînerait misérablement toute la vie à
la recherche de vanités creuses. Elle pensait que la femme doit faire
l’homme. Elle se croyait de force à tailler un ministre dans un vacher.
Ce qui l’avait séduite chez Rougon, c’était la carrure de la poitrine,
le torse trapu et ne manquant pas d’une certaine élégance. Un garçon
ainsi bâti devait porter avec aisance et gaillardise le monde
d’intrigues qu’elle rêvait de lui mettre sur les épaules. Si elle
appréciait la force et la santé de son mari, elle avait d’ailleurs su
deviner qu’il était loin d’être un imbécile ; sous la chair épaisse,
elle avait flairé les souplesses de l’esprit ; mais elle était loin de
connaître son Rougon, elle le jugeait encore plus bête qu’il n’était.
Quelques jours après son mariage, ayant fouillé par hasard dans le
tiroir d’un secrétaire, elle trouva le reçu des cinquante mille francs
signé par Adélaïde. Elle comprit et fut effrayée : sa nature, d’une
honnêteté moyenne, répugnait à ces sortes de moyens. Mais, dans son
effroi, il y eut de l’admiration. Rougon devint à ses yeux un homme
très-fort. : Park and Suites propriétaires
Le jeune ménage se mit bravement à la conquête de la fortune. La maison
Puech et Lacamp se trouvait moins compromise que Pierre ne le pensait.
Le chiffre des dettes était faible, l’argent seul manquait. En
province, le commerce a des allures prudentes qui le sauvent des grands
désastres. Les Puech et Lacamp étaient sages parmi les plus sages ; ils
risquaient un millier d’écus en tremblant ; aussi leur maison, un
véritable trou, n’avait-elle que très-peu d’importance. Les cinquante
mille francs que Pierre apporta suffirent pour payer les dettes et pour
donner au commerce une plus large extension. Les commencements furent
heureux. Pendant trois années consécutives, la récolte des oliviers
donna abondamment. Félicité, par un coup d’audace qui effraya
singulièrement Pierre et le vieux Puech, leur fit acheter une quantité
considérable d’huile qu’ils amassèrent et gardèrent en magasin. Les
deux années suivantes, selon les pressentiments de la jeune femme, la
récolte manqua, il y eut une hausse considérable, ce qui leur permit de
réaliser de gros bénéfices en écoulant leur provision. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRE
Peu de temps après ce coup de filet, Puech et le sieur Lacamp se
retirèrent de l’association, contents des quelques sous qu’ils venaient
de gagner, mordus par l’ambition de mourir rentiers. : Park and Suites propriétaires
Le jeune ménage, resté seul maître de la maison, pensa qu’il avait enfin fixé la fortune. : Park and Suites proprietaire
— Tu as vaincu mon guignon, disait parfois Félicité à son mari. : Park and Suites propriétaires
Une des rares faiblesses de cette nature énergique était de se croire
frappée de malchance. Jusque-là, prétendait-elle, rien ne leur avait
réussi, à elle ni à son père, malgré leurs efforts. La superstition
méridionale aidant, elle s’apprêtait à lutter contre la destinée, comme
on lutte contre une personne en chair et en os qui chercherait à vous
étrangler. : Proprietaire Park and Suites
Les faits ne tardèrent pas à justifier étrangement ses appréhensions.
Le guignon revint, implacable. Chaque année, un nouveau désastre
ébranla la maison Rougon. Un banqueroutier lui emportait quelques
milliers de francs ; les calculs probables sur l’abondance des récoltes
devenaient faux par suite de circonstances incroyables ; les
spéculations les plus sûres échouaient misérablement. Ce fut un combat
sans trêve ni merci. : Park and Suites propriétaires
— Tu vois bien que je suis née sous une mauvaise étoile, disait amèrement Félicité. : Proprietaires Park and Suites
Et elle s’acharnait cependant, furieuse, ne comprenant pas pourquoi
elle, qui avait eu le flair si délicat pour une première spéculation,
ne donnait plus à son mari que des conseils déplorables. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES
Pierre, abattu, moins tenace, aurait vingt fois liquidé sans l’attitude
crispée et opiniâtre de sa femme. Elle voulait être riche. Elle
comprenait que son ambition ne pouvait bâtir que sur la fortune. Quand
ils auraient quelques centaines de mille francs, ils seraient les
maîtres de la ville ; elle ferait nommer son mari à un poste important,
elle gouvernerait. Ce n’était pas la conquête des honneurs qui
l’inquiétait ; elle se sentait merveilleusement armée pour cette lutte.
Mais elle restait sans force devant les premiers sacs d’écus à gagner.
Si le maniement des hommes ne l’effrayait pas, elle éprouvait une sorte
de rage impuissante en face de ces pièces de cent sous, inertes,
blanches et froides, sur lesquelles son esprit d’intrigue n’avait pas
de prise, et qui se refusaient stupidement à elle. : Park and Suites propriétaires
Pendant plus de trente ans, la bataille dura. Lorsque Puech mourut, ce
fut un nouveau coup de massue. Félicité, qui comptait hériter d’une
quarantaine de mille francs, apprit que le vieil égoïste, pour mieux
dorloter ses vieux jours, avait placé sa petite fortune à fonds perdu.
Elle en fit une maladie. Elle s’aigrissait peu à peu, elle devenait
plus sèche, plus stridente. À la voir tourbillonner, du matin au soir,
autour des jarres d’huile, on eût dit qu’elle croyait activer la vente
par ces vols continuels de mouche inquiète. Son mari, au contraire,
s’appesantissait ; le guignon l’engraissait, le rendait plus épais et
plus mou. Ces trente années de lutte ne les menèrent cependant pas à la
ruine. À chaque inventaire annuel, ils joignaient à peu près les deux
bouts ; s’ils éprouvaient des pertes pendant une saison, ils les
réparaient à la saison suivante. C’était cette vie au jour le jour qui
exaspérait Félicité. Elle eût préféré une belle et bonne faillite.
Peut-être auraient-ils pu alors recommencer leur vie, au lieu de
s’entêter dans l’infiniment petit, de se brûler le sang pour ne gagner
que leur strict nécessaire. En un tiers de siècle, ils ne mirent pas
cinquante mille francs de côté. : PROPRIETAIRES PARK AND SUITES
Il faut dire que, dès les premières années de leur mariage, il poussa
chez eux une famille nombreuse qui devint à la longue une très-lourde
charge. Félicité, comme certaines petites femmes, eut une fécondité
qu’on n’aurait jamais supposée, à voir la structure chétive de son
corps. En cinq années, de 1811 à 1815, elle eut trois garçons, un tous
les deux ans. Pendant les quatre années qui suivirent, elle accoucha
encore de deux filles. Rien ne fait mieux pousser les enfants que la
vie placide et bestiale de la province. Les époux accueillirent fort
mal les deux dernières venues ; les filles, quand les dots manquent,
deviennent de terribles embarras. Rougon déclara à qui voulut
l’entendre que c’était assez, que le diable serait bien fin s’il lui
envoyait un sixième enfant. Félicité, effectivement, en demeura là. On
ne sait pas à quel chiffre elle se serait arrêtée. : Park and Suites propriétaires
D’ailleurs, la jeune femme ne regarda pas cette marmaille comme une
cause de ruine. Au contraire, elle reconstruisit sur la tête de ses
fils l’édifice de sa fortune, qui s’écroulait entre ses mains. Ils
n’avaient pas dix ans, qu’elle escomptait déjà en rêve leur avenir.
Doutant de jamais réussir par elle-même, elle se mit à espérer en eux
pour vaincre l’acharnement du sort. Ils satisferaient ses vanités
déçues, ils lui donneraient cette position riche et enviée qu’elle
poursuivait en vain. Dès lors, sans abandonner la lutte soutenue par la
maison de commerce, elle eut une seconde tactique pour arriver à
contenter ses instincts de domination. Il lui semblait impossible que,
sur ses trois fils, il n’y eût pas un homme supérieur qui les
enrichirait tous. Elle sentait cela, disait-elle. Aussi soigna-t-elle
les marmots avec une ferveur où il y avait des sévérités de mère et des
tendresses d’usurier. Elle se plut à les engraisser amoureusement comme
un capital qui devait plus tard rapporter de gros intérêts. : PROPRIETAIRE PARK AND SUITES
— Laisse donc ! criait Pierre, tous les enfants sont des ingrats. Tu les gâtes, tu nous ruines. : Park and Suites propriétaires
Quand Félicité parla d’envoyer les petits au collège, il se fâcha. Le
latin était un luxe inutile, il suffirait de leur faire suivre les
classes d’une petite pension voisine. Mais la jeune femme tint bon ;
elle avait des instincts plus élevés qui lui faisaient mettre un grand
orgueil à se parer d’enfants instruits ; d’ailleurs, elle sentait que
ses fils ne pouvaient rester aussi illettrés que son mari, si elle
voulait les voir un jour des hommes supérieurs. Elle les rêvait tous
trois à Paris, dans de hautes positions qu’elle ne précisait pas.
Lorsque Rougon eut cédé et que les trois gamins furent entrés en
huitième, Félicité goûta les plus vives jouissances de vanité qu’elle
eût encore ressenties. Elle les écoutait avec ravissement parler entre
eux de leurs professeurs et de leurs études. Le jour où l’aîné fit
devant elle décliner Rosa, la rose, à un de ses cadets, elle crut
entendre une musique délicieuse. Il faut le dire à sa louange, sa joie
fut alors pure de tout calcul. Rougon lui-même se laissa prendre à ce
contentement de l’homme illettré qui voit ses enfants devenir plus
savants que lui. La camaraderie qui s’établit naturellement entre leurs
fils et ceux des plus gros bonnets de la ville, acheva de griser les
époux. Les petits tutoyaient le fils du maire, celui du sous-préfet,
même deux ou trois jeunes gentilshommes que le quartier Saint-Marc
avait daigné mettre au collège de Plassans. Félicité ne croyait pouvoir
trop payer un tel honneur. L’instruction des trois gamins greva
terriblement le budget de la maison Rougon. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRE
Tant que les enfants ne furent pas bacheliers, les époux, qui les
maintenaient au collège, grâce à d’énormes sacrifices, vécurent dans
l’espérance de leur succès. Et même, lorsqu’ils eurent obtenu leur
diplôme, Félicité voulut achever son œuvre ; elle décida son mari à les
envoyer tous trois à Paris. Deux firent leur droit, le troisième suivit
les cours de l’École de médecine. Puis, quand ils furent hommes, quand
ils eurent mis la maison Rougon à bout de ressources et qu’ils se
virent obligés de revenir se fixer en province, le désenchantement
commença pour les pauvres parents. La province sembla reprendre sa
proie. Les trois jeunes gens s’endormirent, s’épaissirent. Toute
l’aigreur de sa malchance remonta à la gorge de Félicité. Ses fils lui
faisaient banqueroute. Ils l’avaient ruinée, ils ne lui servaient pas
les intérêts du capital qu’ils représentaient. Ce dernier coup de la
destinée lui fut d’autant plus sensible qu’il l’atteignait à la fois
dans ses ambitions de femme et dans ses vanités de mère. Rougon lui
répéta du matin au soir : « Je te l’avais bien dit ! » ce qui
l’exaspéra encore davantage. : Park and Suites propriétaires
Un jour, comme elle reprochait amèrement à son aîné les sommes d’argent
que lui avait coûtées son instruction, il lui dit avec non moins
d’amertume : : Park and Suites proprietaire
— Je vous rembourserai plus tard, si je puis. Mais, puisque vous
n’aviez pas de fortune, il fallait faire de nous des travailleurs. Nous
sommes des déclassés, nous souffrons plus que vous. : Park and Suites propriétaires
Félicité comprit la profondeur de ces paroles. Dès lors, elle cessa
d’accuser ses enfants, elle tourna sa colère contre le sort, qui ne se
lassait pas de la frapper. Elle recommença ses doléances, elle se mit à
geindre de plus belle sur le manque de fortune qui la faisait échouer
au port. Quand Rougon lui disait : « Tes fils sont des fainéants, ils
nous grugeront jusqu’à la fin », elle répondait aigrement : « Plût à
Dieu que j’eusse encore de l’argent à leur donner. S’ils végètent, les
pauvres garçons, c’est qu’ils n’ont pas le sou. » : Proprietaire Park and Suites
Au commencement de l’année 1848, à la veille de la révolution de
février, les trois fils Rougon avaient à Plassans des positions fort
précaires. Ils offraient alors des types curieux, profondément
dissemblables, bien que parallèlement issus de la même souche. Ils
valaient mieux en somme que leurs parents. La race des Rougon devait
s’épurer par les femmes. Adélaïde avait fait de Pierre un esprit moyen,
apte aux ambitions basses ; Félicité venait de donner à ses fils des
intelligences plus hautes, capables de grands vices et de grandes
vertus. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES
À cette époque, l’aîné, Eugène, avait près de quarante ans. C’était un
garçon de taille moyenne, légèrement chauve, tournant déjà à l’obésité.
Il avait le visage de son père, un visage long, aux traits larges ;
sous la peau, on devinait la graisse qui amollissait les rondeurs et
donnait à la face une blancheur jaunâtre de cire. Mais si l’on sentait
encore le paysan dans la structure massive et carrée de la tête, la
physionomie se transfigurait, s’éclairait en dedans, lorsque le regard
s’éveillait, en soulevant les paupières appesanties. Chez le fils, la
lourdeur du père était devenue de la gravité. Ce gros garçon avait
d’ordinaire une attitude de sommeil puissant ; à certains gestes larges
et fatigués, on eût dit un géant qui se détirait les membres en
attendant l’action. Par un de ces prétendus caprices de la nature où la
science commence à distinguer des lois, si la ressemblance physique de
Pierre était complète chez Eugène, Félicité semblait avoir contribué à
fournir la matière pensante. Eugène offrait le cas curieux de certaines
qualités morales et intellectuelles de sa mère enfouies dans les chairs
épaisses de son père. Il avait des ambitions hautes, des instincts
autoritaires, un mépris singulier pour les petits moyens et les petites
fortunes. Il était la preuve que Plassans ne se trompait peut-être pas
en soupçonnant que Félicité avait dans les veines quelques gouttes de
sang noble. Les appétits de jouissance qui se développaient
furieusement chez les Rougon, et qui étaient comme la caractéristique
de cette famille, prenaient en lui une de leurs faces les plus élevées
; il voulait jouir, mais par les voluptés de l’esprit, en satisfaisant
ses besoins de domination. Un tel homme n’était pas fait pour réussir
en province. Il y végéta quinze ans, les yeux tournés vers Paris,
guettant les occasions. Dès son retour dans sa petite ville, pour ne
pas manger le pain de ses parents, il s’était fait inscrire au tableau
des avocats. Il plaida de temps à autre, gagnant maigrement sa vie,
sans paraître s’élever au-dessus d’une honnête médiocrité. À Plassans,
on lui trouvait la voix pâteuse, les gestes lourds. Il était rare qu’il
réussît à gagner la cause d’un client ; il sortait le plus souvent de
la question, il divaguait, selon l’expression des fortes têtes de
l’endroit. Un jour surtout, plaidant une affaire de dommages et
intérêts, il s’oublia, il s’égara dans des considérations politiques, à
ce point que le président lui coupa la parole. Il s’assit immédiatement
en souriant d’un singulier sourire. Son client fut condamné à payer une
somme considérable, ce qui ne parut pas lui faire regretter ses
digressions le moins du monde. Il semblait regarder ses plaidoyers
comme de simples exercices qui lui serviraient plus tard. C’était là ce
que ne comprenait pas et ce qui désespérait Félicité ; elle aurait
voulu que son fils dictât des lois au tribunal civil de Plassans. Elle
finit par se faire une opinion très-défavorable sur son fils aîné ;
selon elle, ce ne pouvait être ce garçon endormi qui serait la gloire
de la famille. Pierre, au contraire, avait en lui une confiance
absolue, non qu’il eût des yeux plus pénétrants que sa femme, mais
parce qu’il s’en tenait à la surface, et qu’il se flattait lui-même en
croyant au génie d’un fils qui était son vivant portrait. Un mois avant
les journées de février, Eugène devint inquiet ; un flair particulier
lui fit deviner la crise. Dès lors, le pavé de Plassans lui brûla les
pieds. On le vit rôder sur les promenades comme une âme en peine. Puis
il se décida brusquement, il partit pour Paris. Il n’avait pas cinq
cents francs dans sa poche. : Park and Suites propriétaires
Aristide, le plus jeune des fils Rougon, était opposé à Eugène,
géométriquement pour ainsi dire. Il avait le visage de sa mère et des
avidités, un caractère sournois, apte aux intrigues vulgaires, où les
instincts de son père dominaient. La nature a souvent des besoins de
symétrie. Petit, la mine chafouine, pareille à une pomme de canne
curieusement taillée en tête de polichinelle, Aristide furetait,
fouillait partout, peu scrupuleux, pressé de jouir. Il aimait l’argent
comme son frère aîné aimait le pouvoir. Tandis qu’Eugène rêvait de
plier un peuple à sa volonté et s’enivrait de sa toute-puissance
future, lui se voyait dix fois millionnaire, logé dans une demeure
princière, mangeant et buvant bien, savourant la vie par tous les sens
et tous les organes de son corps. Il voulait surtout une fortune
rapide. Lorsqu’il bâtissait un château en Espagne, ce château s’élevait
magiquement dans son esprit ; il avait des tonneaux d’or du soir au
lendemain ; cela plaisait à ses paresses, d’autant plus qu’il ne
s’inquiétait jamais des moyens et que les plus prompts lui semblaient
les meilleurs. La race des Rougon, de ces paysans épais et avides, aux
appétits de brute, avait mûri trop vite ; tous les besoins de
jouissance matérielle s’épanouissaient chez Aristide, triplés par une
éducation hâtive, plus insatiables et dangereux depuis qu’ils
devenaient raisonnés. Malgré ses délicates intuitions de femme,
Félicité préférait ce garçon ; elle ne sentait pas combien Eugène lui
appartenait davantage ; elle excusait les sottises et les paresses de
son fils cadet, sous prétexte qu’il serait l’homme supérieur de la
famille, et qu’un homme supérieur a le droit de mener une vie
débraillée, jusqu’au jour où la puissance de ses facultés se révèle.
Aristide mit rudement son indulgence à l’épreuve. À Paris, il mena une
vie sale et oisive ; il fut un de ces étudiants qui prennent leurs
inscriptions dans les brasseries du quartier latin. D’ailleurs, il n’y
resta que deux années ; son père, effrayé, voyant qu’il n’avait pas
encore passé un seul examen, le retint à Plassans et parla de lui
chercher une femme, espérant que les soucis du ménage en feraient un
homme rangé. Aristide se laissa marier. À cette époque, il ne voyait
pas clairement dans ses ambitions ; la vie de province ne lui
déplaisait pas ; il se trouvait à l’engrais dans sa petite ville,
mangeant, dormant, flânant. Félicité plaida sa cause avec tant de
chaleur que Pierre consentit à nourrir et à loger le ménage, à la
condition que le jeune homme s’occuperait activement de la maison de
commerce. Dès lors commença pour ce dernier une belle existence de
fainéantise ; il passa au cercle ses journées et la plus grande partie
de ses nuits, s’échappant du bureau de son père comme un collégien,
allant jouer les quelques louis que sa mère lui donnait en cachette. Il
faut avoir vécu au fond d’un département, pour bien comprendre quelles
furent les quatre années d’abrutissement que ce garçon passa de la
sorte. Il y a ainsi, dans chaque petite ville, un groupe d’individus
vivant aux crochets de leurs parents, feignant parfois de travailler,
mais cultivant en réalité leur paresse avec une sorte de religion.
Aristide fut le type de ces flâneurs incorrigibles que l’on voit se
traîner voluptueusement dans le vide de la province. Il joua à l’écarté
pendant quatre ans. Tandis qu’il vivait au cercle, sa femme, une blonde
molle et placide, aidait à la ruine de la maison Rougon par un goût
prononcé pour les toilettes voyantes et par un appétit formidable,
très-curieux chez une créature aussi frêle. Angèle adorait les rubans
bleu-ciel et le filet de bœuf rôti. Elle était fille d’un capitaine
retraité, qu’on nommait le commandant Sicardot, bonhomme qui lui avait
donné pour dot dix mille francs, toutes ses économies. Aussi Pierre, en
choisissant Angèle pour son fils, avait-il pensé conclure une affaire
inespérée, tant il estimait Aristide à bas prix. Cette dot de dix mille
francs, qui le décida, devint justement par la suite un pavé attaché à
son cou. Son fils était déjà un rusé fripon ; il lui remit les dix
mille francs, en s’associant avec lui, ne voulant pas garder un sou,
affichant le plus grand dévouement. : PROPRIETAIRES PARK AND SUITES
— Nous n’avons besoin de rien, disait-il ; vous nous entretiendrez, ma femme et moi, et nous compterons plus tard. : Park and Suites propriétaires
Pierre était gêné, il accepta, un peu inquiet du désintéressement
d’Aristide. Celui-ci se disait que de longtemps peut-être son père
n’aurait pas dix mille francs liquides à lui rendre, et que lui et sa
femme vivraient largement à ses dépens, tant que l’association ne
pourrait être rompue. C’était là quelques billets de banque
admirablement placés. Quand le marchand d’huile comprit quel marché de
dupe il avait fait, il ne lui était plus permis de se débarrasser
d’Aristide ; la dot d’Angèle se trouvait engagée dans des spéculations
qui tournaient mal. Il dut garder le ménage chez lui, exaspéré, frappé
au cœur par le gros appétit de sa belle-fille et par les fainéantises
de son fils. Vingt fois, s’il avait pu les désintéresser, il aurait mis
à la porte cette vermine qui lui suçait le sang, selon son énergique
expression. Félicité les soutenait sourdement ; le jeune homme, qui
avait pénétré ses rêves d’ambition, lui exposait chaque soir
d’admirables plans de fortune qu’il devait prochainement réaliser. Par
un hasard assez rare, elle était au mieux avec sa bru ; il faut dire
qu’Angèle n’avait pas une volonté et qu’on pouvait disposer d’elle
comme d’un meuble. Pierre s’emportait, quand sa femme lui parlait des
succès futurs de leur fils cadet ; il l’accusait plutôt de devoir être
un jour la ruine de leur maison. Pendant les quatre années que le
ménage resta chez lui, il tempêta ainsi, usant en querelles sa rage
impuissante, sans qu’Aristide ni Angèle sortissent le moins du monde de
leur calme souriant. Ils s’étaient posés là, ils y restaient, comme des
masses. Enfin, Pierre eut une heureuse chance ; il put rendre à son
fils ses dix mille francs.