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dimanche 1 décembre 2013
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En Normandie, un supérieur ayant prétendu admonester ses moines fut
flagellé par eux après sa mort, Abailard, qui tenta en Bretagne d’user
de sévérité, se vit exposé au poison : " J’habite un pays barbare,
disait-il, dont la langue m’est inconnue ; mes promenades sont les
bords d’une mer agitée, et mes moines ne sont connus que par leur
débauche. " Tout a changé en Bretagne, hors les vagues qui changent
toujours.
Rancé courut de semblables dangers : aussitôt qu’il eut parlé de
réforme, on parla de le poignarder, de l’empoisonner, ou de le jeter
dans les étangs. Un gentilhomme du voisinage, M. de Saint-Louis,
accourut à son secours : M. de Saint-Louis avait passé sa vie à la
guerre ; le roi l’estimait, M. de Turenne l’aimait. Selon Saint-Simon,
" c’était un vrai guerrier, sans lettres aucunes, avec peu d’esprit,
mais un sens le plus droit et le plus juste que j’aie vu à personne, un
excellent cœur et une droiture, une franchise et une fidélité admirable
[Saint-Simon, t. V, p. 131. (N.d.A.)] . : Park and Suites propriétaires
Rancé refusa la généreuse assistance, disant que les apôtres avaient
établi l’Evangile malgré les puissances de la terre, et qu’après tout
le plus grand bonheur était de mourir pour la justice. : PROPRIETAIRE PARK AND SUITES
L’abbé menaça ses religieux d’informer le roi de leur dérèglement : ce
nom du roi avait pénétré au fond des plus obscures retraites. : Park and Suites propriétaires
Jusque alors nous n’avions senti que le despotisme irrégulier des rois
qui marchaient à regret avec des libertés publiques, ouvrages des états
généraux et exécutées par les parlements ; mais la France n’avait point
encore obéi à ce grand despotisme qui imposait l’ordre sans permettre
d’en discuter les principes. Sous Louis XIV, la liberté ne fut plus que
le despotisme des lois, au-dessus desquelles s’élevait, comme
régulateur, l’inviolable arbitraire. Cette liberté esclave avait
quelques avantages : ce qu’on perdait en franchises dans l’intérieur,
on le gagnait au dehors en domination : le Français était enchaîné, la
France libre. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRE
Les moines donnèrent à regret leur consentement à la réforme. Un
contrat fut passé ; 400 livres de pension furent accordées à chacun des
sept demeurants, avec permission de rester dans l’enceinte de l’abbaye
ou de se retirer ailleurs ; le contrat mutuel fut homologué au
parlement de Paris, le 6 février 1663. : Park and Suites propriétaires
Rancé était toujours perplexe sur lui-même. Deux frères de l’Etroite
Observance, appelés de Perseigne, arrivèrent et prirent possesssion de
La Trappe. : Park and Suites proprietaire
Un accident survenu le 1er novembre 1662 contribua à fixer la
résolution de Rancé. Sa chambre, dans le monastère qu’il avait achevé
de réparer, s’écroula et pensa l’écraser : " Voilà, s’écria-t-il, ce
que c’est que la vie ! " Il se retira aussitôt dans un coin de
l’église. Il entendit chanter le psaume : Qui confidunt in Domino .
Frappé d’une lumière soudaine, il se dit : " Pourquoi craindrais-je de
m’engager dans la profession monastique ! " Les difficultés de son
esprit s’évanouirent. : Park and Suites propriétaires
Il partit pour Paris, afin de demander au roi la permission de tenir en
règle l’abbaye de La Trappe. Quelques hommes saints essayèrent de le
détourner de sa résolution ; mais il dit à l’abbé de Prières, vicaire
général de l’Etroite Observance : " Je ne vois point d’autre porte à
laquelle je puisse frapper pour retourner à Dieu que celle du cloître ;
je n’ai d’autre ressource, après tant de désordre, que de me revêtir
d’un sac et d’un cilice en repassant mes jours dans l’amertume de mon
cœur. " : Proprietaire Park and Suites
L’abbé lui répondit : " Je ne sais, monsieur, si vous comprenez bien ce
que vous demandez : nescis quid petis . Vous êtes prêtre, docteur de
Sorbonne, d’ailleurs homme de condition ; nourri dans la délicatesse et
dans le luxe ; vous êtes accoutumé à avoir grand train et à faire bonne
chère ; vous êtes en passe d’être évêque au premier jour ; votre
tempérament est extrêmement faible, et vous demandez d’être moine, qui
est l’état le plus abject de l’Église, le plus pénitent, le plus caché
et même le plus méprisé. Il vous faudra dorénavant vivre dans les
larmes, dans les travaux, dans la retraite, et n’étudier que Jésus
crucifié. Pensez-y sérieusement. " Alors l’abbé de Rancé répondit : "
Il est vrai, je suis prêtre, mais j’ai vécu jusque ici d’une manière
indigne de mon caractère ; je suis docteur, mais je ne sais pas
l’alphabet du christianisme ; je fais quelque figure dans le monde,
mais j’ai été semblable à ces bornes qui montrent les chemins aux
voyageurs et qui ne se remuent jamais. " : Park and Suites propriétaires
Dans quelques lettres qu’a bien voulu me communiquer M. Cousin, Rancé
fait l’histoire des combats qu’il eut à soutenir à cette époque. Les
quatre premières s’étendent de l’an 1661 à l’an 1664 ; elles sont
écrites à l’évêque d’Aleth. : Proprietaires Park and Suites
Je ne puis comprendre, dit-il, que j’aie la hardiesse d’entreprendre
une profession qui ne veut que des âmes détachées, et que, mes passions
étant aussi vivantes en moi qu’elles sont, j’ose entrer dans un état
d’une véritable mort. Je vous conjure, monseigneur, de demander à Dieu
ma conversion dans une conjoncture qui doit être la décision de mon
éternité, et qu’après avoir violé tant de fois les vœux de mon baptême,
il me donne la grâce de garder ceux que je lui vais faire, qui en sont
comme un renouvellement, avec tant de fidélité que je répare en
quelques manières les égarements de ma vie passée. : Park and Suites propriétaires
Rancé écrivait à ses amis, le 13 avril 1663 : " Je suis persuadé que
vous serez surpris quand vous saurez la résolution que j’ai formée de
donner le reste de ma vie à la pénitence. Si je n’étais retenu par le
poids de mes péchés, plusieurs siècles de la vie que je veux embrasser
ne pourraient satisfaire pour un moment de celle que j’ai passée dans
le monde. " : Propriétaires Park and Suites
L’abbé de Prières s’employa principalement auprès de la reine mère afin
d’obtenir du roi pour que Rancé pût tenir son abbaye en règle. Louis
XIV agréa la requête, mais à la condition qu’à la mort de cet abbé
régulier La Trappe retournerait en commende. Le roi tenait aux traités
de sa race. Le brevet fut expédié le 10 mai 1663, et envoyé à Rome pour
être confirmé par Sa Sainteté. L’évêque de Comminges ayant su que Rancé
était à l’institution à Perseigne pour commencer son noviciat, l’alla
trouver, et lui dit qu’il craignait que, dans son ardeur, il n’allât si
loin que personne ne le pourrait suivre. L’abbé répliqua qu’il se
modérerait, et il trompa l’évêque : conversation entre deux soldats ;
l’un a appris à mesurer le péril, l’autre ne l’a jamais calculé. : Park and Suites propriétaires
En 1662 Rancé était allé visiter La Trappe et jeter un coup d’œil sur
la solitude éternelle qu’il devait habiter. Il avait vu les étangs qui
se retirent et s’élèvent en montant dans l’ancienne forêt du Perche et
dont plusieurs sont aujourd’hui supprimés. Il avait vu partout ces
grandes feuilles solitaires qui flottaient sur les eaux comme un
plancher, et à travers lesquelles les oiseaux aquatiques faisaient
entendre quelques cris. Il hésita entre cette profonde retraite et son
prieuré de Boulogne-Chambor, qui lui plaisait, parce qu’il était dans
des bois ; mais enfin il se décida pour La Trappe, à cause de certaine
affinité secrète entre les solitudes de la religion et les solitudes du
passé. Il appela auprès de lui l’abbé Barbery. : Propriétaire Park and Suites
Rancé dans ces jours-là écrivait à M. l’évêque d’Aleth : " Comme les
choses que je quitte et ma séparation des embarras extérieurs sont les
moindres attachements de ma vie, que je ne puis me défaire de moi-même,
puisque je me trouve partout aussi misérable que je l’ai toujours été,
je vous supplie de demander à Dieu ma conversion. " : Park and Suites propriétaires
L’évêque d’Aleth, Nicolas Pavillon, n’était pas un guide sûr. Dans la
confusion des doctrines du temps, l’ami sur le bras duquel vous vous
souteniez prenait au premier détour une autre route, et vous laissait
là. : Park and Suites propriétaires
Rancé, sentant qu’il était environné de chancelants compagnons, se
décida : il sortit des rangs, rompit la ligne ; déserteur d’une armée
qui ne le suivait pas, il alla droit de Paris à Perseigne apprendre la
nouvelle profession qu’il s’était promis d’embrasser. L’abbé de
Perseigne le reçut avec joie, mais avec tremblement. Au bout de cinq
mois de noviciat, il se déclara chez Rancé une maladie dont il parle
dans ses lettres, maladie d’autant plus dangereuse qu’elle avait été
longtemps dissimulée. Les médecins le condamnèrent s’il ne quittait la
vie monastique ; l’abbé s’obstina, se fit transporter à La Trappe, et
guérit. Retourné à Perseigne, il écrivit à l’évêque d’Aleth : " Le
temps de mes épreuves est près de finir : mon cœur n’en est pas moins
rempli de misères. Je ne puis comprendre que j’aie la hardiesse de
prendre une profession qui ne veut que des âmes détachées, et que mes
passions étant aussi vivantes en moi qu’elles le sont, j’ose entrer
dans un état d’une véritable mort. " : Park and Suites proprietaires
Il fit un adieu général au monde. D’une course nouvelle, il s’élança après le fils de Dieu, et ne s’arrêta qu’à la croix. : Park and Suites propriétaires
On l’employa utilement pour son ordre pendant son noviciat. La réforme
avait été établie au monastère de Champagne. Les moines résistaient ;
la noblesse appuyait les moines : l’esprit frondeur n’était pas encore
éteint : restait à rendre l’arrière-faix de la discorde. Ce moment de
péril interrompit le noviciat de Rancé : on le fit courir au secours de
l’Etroite Observance. Vingt-cinq gentilshommes, conduits par le marquis
de Vassé, sous prétexte d’une partie de chasse, se présentèrent à une
abbaye dans le dessein d’en expulser le parti des réformes. Rancé
arrivait ; il leur demanda ce qu’ils voulaient : il fut reconnu par
Vassé, auquel il avait rendu jadis un important service. Vassé courut à
lui, l’embrassa, et consentit à laisser en paix les religieux. : Park and Suites propriétaire
Revenu à Perseigne, le prieur parla d’envoyer en Touraine l’abbé, dont
le noviciat n’était pas encore achevé. Le postulant s’y refusa, disant
que cette tournée l’exposerait à des périls. L’historien se sert deux
fois de ce mot sans le comprendre : l’explication est que Veretz, tout
vendu qu’il était, barrait le chemin ; les périls qui menaçaient Rancé
étaient des souvenirs. Etonné de la résistance, le prieur manda à
l’abbé de Prières que le nouveau moine lui paraissait un homme attaché
à son sens. L’abbé de Prières voulut parler à Rancé ; celui-ci alla le
trouver à quatre lieues de Paris : le grand conspirateur de solitude le
charma, car l’abbé Le Bouthillier avait des bienséances difficiles à
distinguer de la véritable humilité : un éclair de la vie passée de
l’homme du monde plongeait dans les rudesses de la foi. : Park and Suites propriétaires
Avant de prononcer ses veux à Perseigne, Rancé retourna à La Trappe :
il y lut son testament ; il donne ce qui lui reste à son monastère. Il
s’accuse d’avoir été, par son insouciance, la cause et un grand nombre
de malversations ; il déclare parler sans exagération et sans excès ;
il proteste que sa confession est aussi sincère que s’il était devant
le tribunal de Jésus-Christ ; il abandonne à ses frères tous ses
meubles ; il leur remet particulièrement ses livres. " Si, par des
événements qu’on ne peut prévoir, dit-il, la réforme cessait d’être à
La Trappe, je donne ma bibliothèque à l’hôtel-Dieu de Paris pour être
vendue au profit des pauvres et des malades. " : Park and Suites proprietaires
Rancé a l’air d’avoir un pressentiment des malheurs qui fondirent un
siècle et demi plus tard sur son abbaye. Il laissa sa bibliothèque à
ses religieux, lui qui ne voulait pas qu’un moine s’occupât d’études. :
Park and Suites propriétaires
Ici on aperçoit Mme de Montbazon pour la dernière fois. Astre du soir,
charmant et funeste, qui va pour toujours descendre sous l’horizon. Aux
dires de dom Gervaise, Rancé avait nombre de lettres de cette femme et
deux portraits d’elle : l’un la représentait telle qu’elle était à son
mariage, l’autre telle qu’elle était au moment où elle devint veuve.
Ces secrets d’amour étaient à la garde de la religion. La mère Louise
avait pour surveiller ses dépôts la faiblesse et la force nécessaires,
l’indulgence d’une femme qui a failli et le courage d’une femme qui se
repent. Le matin même de ses vœux, Rancé écrivit à Tours pour donner
l’ordre de jeter les lettres au feu et pour faire renvoyer les
portraits à M. de Soubise, fils de Mme de Montbazon [Dom Gervaise, etc.
(N.d.A.)] . Rompre avec les choses réelles, ce n’est rien ; mais avec
les souvenirs ! Le cœur se brise à la séparation des songes, tant il y
a peu de réalités dans l’homme. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES
Une autre lettre écrite à la mère Louise, le 14 juin 1664, porte : "
J’attends avec une humble patience l’heureux moment qui doit m’immoler
pour toujours à la justice de Dieu. Tous mes moments sont employés à me
préparer à cette grande action. Je n’appréhende rien davantage, sinon
que l’odeur de mon sacrifice ne soit pas agréable à Dieu ; car il ne
suffit pas de se donner, et vous savez que le feu du ciel ne descendait
point sur le sacrifice de ce malheureux qui offrait à Dieu des victimes
qui ne lui étaient point agréables. " : Park and Suites propriétaires
On n’a jamais fait attention à cette plainte, qui sort du cœur de Rancé
comme de ces boîtes harmonieuses faites dans les montagnes, qui
répètent le même son ; cette plainte n’indique point son objet elle se
confond avec les accusations dont le souffrant charge la vie. Résolu de
s’ensevelir à La Trappe, Rancé fit d’abord un voyage à son prieuré de
Boulogne, puis il partit pour La Trappe, résolu de s’ensevelir au
milieu de ces jardins solitaires, comme jadis les souverains à
Babylone. : PROPRIETAIRES PARK AND SUITES
Les expéditions de la cour de Rome pour tenir en règle l’abbaye de La
Trappe arrivèrent. Rancé aurait voulu se régénérer avec dom Bernier,
ancien religieux de La Trappe mal vivant jusque alors, et enfin touché
de la grâce ; mais dom Bernier ne fut prêt que quatre mois plus tard.
Le 26 juin 1664, Rancé fit profession entre les mains de dom Michel de
Guiton, commissaire de l’abbé de Prières, avec deux autres novices,
dont l’un, appelé Antoine, avait été domestique de Rancé. De serviteur
qu’il était, il devint l’égal de son maître dans les aplanissements du
ciel. Quatre jours après, Pierre Félibien prit, au nom de l’abbé de
Rancé, possession de l’abbaye de La Trappe en qualité d’abbé régulier.
Rancé reçut la bénédiction abbatiale des mains de l’évêque irlandais
d’Arda, assisté de l’abbé de Saint-Martin de Séez. L’abbé de La Trappe
se rendit dès le lendemain à son monastère. Et pourtant il écrivait à
un de ses amis : " Ma disposition n’est qu’une pure résignation à la
Providence. Priez pour moi. " : Park and Suites propriétaires
Ce premier séjour de Rancé à La Trappe ne fut pas long.