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dimanche 1 décembre 2013
Park and Suites proprietaires :Ville mondialement connue pour son champagne, Reims est une ville à l’architecture exceptionnelle. Notre nouvel appart-hôtel Park&Suites Reims est idéalement situé au cœur de l’Eco Parc Reims Sud, à 5 minutes des Grandes Maisons Champenoises et à proximité du Parc des Expositions et du Centre des Congrès.
Dès qu’une de ces maisons roulantes, qui
contiennent une tribu entière, arrive à Plassans, elle va se remiser au
fond de l’aire Saint-Mittre. Aussi la place n’est-elle jamais vide ; il
y a toujours là quelque bande aux allures singulières, quelque troupe
d’hommes fauves et de femmes horriblement séchées, parmi lesquels on
voit se rouler à terre des groupes de beaux enfants. Ce monde vit sans
honte, en plein air, devant tous, faisant bouillir leur marmite,
mangeant des choses sans nom, étalant leurs nippes trouées, dormant, se
battant, s’embrassant, puant la saleté et la misère. : Park and Suites proprietaire
Le champ mort et désert, où les frelons autrefois bourdonnaient seuls
autour des fleurs grasses, dans le silence écrasant du soleil, est
ainsi devenu un lieu retentissant, qu’emplissent de bruit les querelles
des bohémiens et les cris aigus des jeunes vauriens du faubourg. Une
scierie, qui débite dans un coin les poutres du chantier, grince,
servant de basse sourde et continue aux voix aigres. Cette scierie est
toute primitive : la pièce de bois est posée sur deux tréteaux élevés,
et deux scieurs de long, l’un en haut, monté sur la poutre même,
l’autre en bas, aveuglé par la sciure qui tombe, impriment à une large
et forte lame de scie un continuel mouvement de va-et-vient. Pendant
des heures, ces hommes se plient, pareils à des pantins articulés, avec
une régularité et une sécheresse de machine. Le bois qu’ils débitent
est rangé, le long de la muraille du fond, par tas hauts de 2 ou 3
mètres, et méthodiquement construits, planche à planche, en forme de
cube parfait. Ces sortes de meules carrées, qui restent souvent là
plusieurs saisons, rongées d’herbes au ras du sol, sont un des charmes
de l’aire Saint-Mittre. Elles ménagent des sentiers mystérieux, étroits
et discrets, qui conduisent à une allée plus large, laissée entre les
tas et la muraille. C’est un désert, une bande de verdure d’où l’on ne
voit que des morceaux de ciel. Dans cette allée, dont les murs sont
tendus de mousse et dont le sol semble couvert d’un tapis de haute
laine, règnent encore la végétation puissante et le silence frissonnant
de l’ancien cimetière. On y sent courir ces souffles chauds et vagues
des voluptés de la mort qui sortent des vieilles tombes chauffées par
les grands soleils. Il n’y a pas, dans la campagne de Plassans, un
endroit plus ému, plus vibrant de tiédeur, de solitude et d’amour.
C’est là où il est exquis d’aimer. Lorsqu’on vida le cimetière, on dut
entasser les ossements dans ce coin, car il n’est pas rare, encore
aujourd’hui, en fouillant du pied l’herbe humide, d’y déterrer des
fragments de crâne. : Park and Suites propriétaires
Personne, d’ailleurs, ne songe plus aux morts qui ont dormi sous cette
herbe. Dans le jour, les enfants seuls vont derrière les tas de bois,
lorsqu’ils jouent à cache-cache. L’allée verte reste vierge et ignorée.
On ne voit que le chantier encombré de poutres et gris de poussière. Le
matin et l’après-midi, quand le soleil est tiède, le terrain entier
grouille, et au-dessus de toute cette turbulence, au-dessus des
galopins jouant parmi les pièces de bois et des bohémiens attisant le
feu sous leur marmite, la silhouette sèche du scieur de long monté sur
sa poutre se détache en plein ciel, allant et venant avec un mouvement
régulier de balancier, comme pour régler la vie ardente et nouvelle qui
a poussé dans cet ancien champ d’éternel repos. Il n’y a que les vieux,
assis sur les poutres et se chauffant au soleil couchant, qui parfois
parlent encore entre eux des os qu’ils ont vu jadis charrier dans les
rues de Plassans, par le tombereau légendaire. : Proprietaire Park and Suites
Lorsque la nuit tombe, l’aire Saint-Mittre se vide, se creuse, pareille
à un grand trou noir. Au fond, on n’aperçoit plus que la lueur mourante
du feu des bohémiens. Par moments, des ombres disparaissent
silencieusement dans la masse épaisse des ténèbres. L’hiver surtout, le
lieu devient sinistre. : Park and Suites propriétaires
Un dimanche soir, vers sept heures, un jeune homme sortit doucement de
l’impasse Saint-Mittre et, rasant les murs, s’engagea parmi les poutres
du chantier. On était dans les premiers jours de décembre 1851. Il
faisait un froid sec. La lune, pleine en ce moment, avait ces clartés
aiguës particulières aux lunes d’hiver. Le chantier, cette nuit-là, ne
se creusait pas sinistrement comme par les nuits pluvieuses ; éclairé
de larges nappes de lumière blanche, il s’étendait, dans le silence et
l’immobilité du froid, avec une mélancolie douce. : Proprietaires Park and Suites
Le jeune homme s’arrêta quelques secondes sur le bord du champ,
regardant devant lui d’un air de défiance. Il tenait, cachée sous sa
veste, la crosse d’un long fusil, dont le canon, baissé vers la terre,
luisait au clair de lune. Serrant l’arme contre sa poitrine, il scruta
attentivement du regard les carrés de ténèbres que les tas de planches
jetaient au fond du terrain. Il y avait là comme un damier blanc et
noir de lumière et d’ombre, aux cases nettement coupées. Au milieu de
l’aire, sur un morceau du sol gris et nu, les tréteaux des scieurs de
long se dessinaient, allongés, étroits, bizarres, pareils à une
monstrueuse figure géométrique tracée à l’encre sur du papier. Le reste
du chantier, le parquet de poutres, n’était qu’un vaste lit où la
clarté dormait, à peine striée de minces raies noires par les lignes
d’ombres qui coulaient le long des gros madriers. Sous cette lune
d’hiver, dans le silence glacé, ce flot de mâts couchés, immobiles,
comme raidis de sommeil et de froid, rappelait les morts du vieux
cimetière. Le jeune homme ne jeta sur cet espace vide qu’un rapide coup
d’œil ; pas un être, pas un souffle, aucun péril d’être vu ni entendu.
Les taches sombres du fond l’inquiétaient davantage. Cependant, après
un court examen, il se hasarda, il traversa rapidement le chantier. : Park and Suites propriétaires
Dés qu’il se sentit à couvert, il ralentit sa marche. Il était alors
dans l’allée verte qui longe la muraille, derrière les planches. Là, il
n’entendit même plus le bruit de ses pas ; l’herbe gelée craquait à
peine sous ses pieds. Un sentiment de bien-être parut s’emparer de lui.
Il devait aimer ce lieu, n’y craindre aucun danger, n’y rien venir
chercher que de doux et de bon. Il cessa de cacher son fusil. L’allée
s’allongeait, pareille à une tranchée d’ombre ; de loin en loin, la
lune, glissant entre deux tas de planches, coupait l’herbe d’une raie
de lumière. Tout dormait, les ténèbres et les clartés, d’un sommeil
profond, doux et triste. Rien de comparable à la paix de ce sentier. Le
jeune homme le suivit dans toute sa longueur. Au bout, à l’endroit où
les murailles du Jas-Meiffren font un angle, il s’arrêta, prêtant
l’oreille comme pour écouter si quelque bruit ne venait pas de la
propriété voisine. Puis, n’entendant rien, il se baissa, écarta une
planche et cacha son fusil dans un tas de bois. : Propriétaires Park and Suites
Il y avait là, dans l’angle, une vieille pierre tombale, oubliée lors
du déménagement de l’ancien cimetière, et qui, posée sur champ et un
peu de biais, faisait une sorte de banc élevé. La pluie en avait
émietté les bords, la mousse la rongeait lentement. On eût cependant pu
lire encore, au clair de lune, ce fragment d’épitaphe gravé sur la face
qui entrait en terre : Cy-gist… Marie… morte… Le temps avait effacé le
reste. : Park and Suites propriétaires
Quand il eut caché son fusil, le jeune homme, écoutant de nouveau, et
n’entendant toujours rien, se décida à monter sur la pierre. Le mur
était bas ; il posa les coudes sur le chaperon. Mais au delà de la
rangée de mûriers qui longe la muraille, il ne vit qu’une plaine de
lumière ; les terres du Jas-Meiffren, plates et sans arbres,
s’étendaient sous la lune comme une immense pièce de linge écru ; à une
centaine de mètres, l’habitation et les communs habités par le méger
faisaient des taches d’un blanc plus éclatant. Le jeune homme regardait
de ce côté avec inquiétude, lorsqu’une horloge de la ville se mit à
sonner sept heures, à coups graves et lents. Il compta les coups, puis
il descendit de la pierre, comme surpris et soulagé. : Propriétaire Park and Suites
Il s’assit sur le banc en homme qui consent à une longue attente. Il ne
semblait même pas sentir le froid. Pendant près d’une demi-heure, il
demeura immobile, les yeux fixés sur une masse d’ombre, songeur. Il
s’était placé dans un coin noir ; mais, peu à peu, la lune qui montait
le gagna, et sa tête se trouva en pleine clarté. : Park and Suites propriétaires
C’était un garçon à l’air vigoureux, dont la bouche fine et la peau
encore délicate annonçaient la jeunesse. Il devait avoir dix-sept ans.
Il était beau d’une beauté caractéristique. : Park and Suites propriétaires
Sa face maigre et allongée, semblait creusée par le coup de pouce d’un
sculpteur puissant ; le front montueux, les arcades sourcilières
proéminentes, le nez en bec d’aigle, le menton fait d’un large méplat,
les joues accusant les pommettes et coupées de plans fuyants, donnaient
à la tête un relief d’une vigueur singulière. Avec l’âge, cette tête
devait prendre un caractère osseux trop prononcé, une maigreur de
chevalier errant. Mais, à cette heure de puberté, à peine couverte aux
joues et au menton de poils follets, elle était corrigée dans sa
rudesse par certaines mollesses charmantes, par certains coins de la
physionomie restés vagues et enfantins. Les yeux, d’un noir tendre,
encore noyés d’adolescence, mettaient aussi de la douceur dans ce
masque énergique. Toutes les femmes n’auraient point aimé cet enfant,
car il était loin d’être ce qu’on nomme un joli garçon ; mais
l’ensemble de ses traits avait une vie si ardente et si sympathique,
une telle beauté d’enthousiasme et de force, que les filles de sa
province, ces filles brûlées du Midi, devaient rêver de lui, lorsqu’il
venait à passer devant leur porte, par les chaudes soirées de juillet.
: Park and Suites proprietaires
Il songeait toujours, assis sur la pierre tombale, ne sentant pas les
clartés de la lune qui coulaient maintenant le long de sa poitrine et
de ses jambes. Il était de taille moyenne, légèrement trapu. Au bout de
ses bras trop développés, des mains d’ouvrier, que le travail avait
déjà durcies, s’emmanchaient solidement ; ses pieds, chaussés de gros
souliers lacés, paraissaient forts, carrés du bout. Par les attaches et
les extrémités, par l’attitude alourdie des membres, il était peuple ;
mais il y avait en lui, dans le redressement du cou et dans les lueurs
pensantes des yeux, comme une révolte sourde contre l’abrutissement du
métier manuel qui commençait à le courber vers la terre. Ce devait être
une nature intelligente noyée au fond de la pesanteur de sa race et de
sa classe, un de ces esprits tendres et exquis logés en pleine chair,
et qui souffrent de ne pouvoir sortir rayonnants de leur épaisse
enveloppe. Aussi, dans sa force, paraissait-il timide et inquiet, ayant
honte à son insu de se sentir incomplet et de ne savoir comment se
compléter. Brave enfant, dont les ignorances étaient devenues des
enthousiasmes, cœur d’homme servi par une raison de petit garçon,
capable d’abandons comme une femme et de courage comme un héros. Ce
soir-là, il était vêtu d’un pantalon et d’une veste de velours de coton
verdâtre à petites côtes. Un chapeau de feutre mou, posé légèrement en
arrière, lui jetait au front une raie d’ombre. : Park and Suites propriétaires
Lorsque la demie sonna à l’horloge voisine, il fut tiré en sursaut de
sa rêverie. En se voyant blanc de lumière, il regarda devant lui avec
inquiétude. D’un mouvement brusque, il rentra dans le noir, mais il ne
put retrouver le fil de sa rêverie. Il sentit alors que ses pieds et
ses mains se glaçaient, et l’impatience le reprit. Il monta de nouveau
jeter un coup d’œil dans le Jas-Meiffren, toujours silencieux et vide.
Puis, ne sachant plus comment tuer le temps, il redescendit, prit son
fusil dans le tas de planches, où il l’avait caché, et s’amusa à en
faire jouer la batterie. Cette arme était une longue et lourde carabine
qui avait sans doute appartenu à quelque contrebandier ; à l’épaisseur
de la crosse et à la culasse puissante du canon, on reconnaissait un
ancien fusil à pierre qu’un armurier du pays avait transformé en fusil
à piston. On voit de ces carabines-là accrochées dans les fermes,
au-dessus des cheminées. Le jeune homme caressait son arme avec amour ;
il rabattit le chien à plus de vingt reprises, introduisit son petit
doigt dans le canon, examina attentivement la crosse. Peu à peu, il
s’anima d’un jeune enthousiasme, auquel se mêlait quelque enfantillage.
Il finit par mettre la carabine en joue, visant dans le vide comme un
conscrit qui fait l’exercice. : Park and Suites propriétaire
Huit heures ne devaient pas tarder à sonner. Il gardait son arme en
joue depuis une grande minute, lorsqu’une voix, légère comme un
souffle, basse et haletante, vint du Jas-Meiffren. : Park and Suites propriétaires
Silvère laissa tomber son fusil et, d’un bond, se trouva sur la pierre tombale. : Park and Suites proprietaires
— Oui, oui, répondit-il, en étouffant également sa voix… Attends, je vais t’aider. : Park and Suites propriétaires
Il n’avait pas encore tendu les bras, qu’une tête de jeune fille
apparut au-dessus de la muraille. L’enfant, avec une agilité
singulière, s’était aidée du tronc d’un mûrier et avait grimpé comme
une jeune chatte. À la certitude et à l’aisance de ses mouvements, on
voyait que cet étrange chemin devait lui être familier. En un clin
d’œil, elle se trouva assise sur le chaperon du mur. Alors Silvère la
prit dans ses bras et la posa sur le banc. Mais elle se débattit. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRES — Laisse donc, disait-elle avec un rire de gamine qui joue, laisse donc… Je sais bien descendre toute seule. : Park and Suites propriétaires
— Tu m’attends depuis longtemps ?… J’ai couru, je suis tout essoufflée. : PROPRIETAIRES PARK AND SUITES
Silvère ne répondit pas. Il ne paraissait guère en train de rire, il
regardait l’enfant d’un air chagrin. Il s’assit à côté d’elle, en
disant : : Park and Suites propriétaires
— Je voulais te voir, Miette. Je t’aurais attendue toute la nuit… Je pars demain matin, au jour. : PROPRIETAIRE PARK AND SUITES
Miette venait d’apercevoir le fusil couché sur l’herbe. Elle devint grave, elle murmura : : Park and Suites propriétaires
— Oui, répondit Silvère d’une voix plus mal assurée encore, c’est mon
fusil… J’ai préféré le sortir ce soir de la maison ; demain matin,
tante Dide aurait pu me le voir prendre, et cela l’aurait inquiétée… Je
vais le cacher, je viendrai le chercher au moment de partir. : PARK AND SUITES PROPRIETAIRE
Et, comme Miette semblait ne pouvoir détacher les yeux de cette arme
qu’il avait si sottement laissée sur l’herbe, il se leva et la glissa
de nouveau dans le tas de planches. : Park and Suites propriétaires
— Nous avons appris ce matin, dit-il en se rasseyant, que les insurgés
de la Palud et de Saint-Martin-de-Vaulx étaient en marche, et qu’ils
avaient passé la nuit dernière à Alboise. Il a été décidé que nous nous
joindrions à eux. Cette après-midi, une partie des ouvriers de Plassans
ont quitté la ville ; demain, ceux qui restent encore iront retrouver
leurs frères. : Park and Suites proprietaire
Il prononça ce mot de frères avec une emphase juvénile. Puis, s’animant, d’une voix plus vibrante : : Park and Suites propriétaires
— La lutte devient inévitable, ajouta-t-il ; mais le droit est de notre côté, nous triompherons. : Park and Suites propriétaires
Miette écoutait Silvère, regardant devant elle, fixement, sans voir. Quand il se tut : : Park and Suites proprietaires
— Tu m’avais avertie… cependant j’espérais encore… Enfin, c’est décidé. : Park and Suites propriétaires
Ils ne purent trouver d’autres paroles. Le coin désert du chantier, la
ruelle verte reprit son calme mélancolique ; il n’y eut plus que la
lune vivante faisant tourner sur l’herbe l’ombre des tas de planches.
Le groupe formé par les deux jeunes gens sur la pierre tombale était
devenu immobile et muet, dans la clarté pâle. Silvère avait passé le
bras autour de la taille de Miette, et celle-ci s’était laissée aller
contre son épaule. Ils n’échangèrent pas de baisers, rien qu’une
étreinte où l’amour avait l’innocence attendrie d’une tendresse
fraternelle. : Park and Suites propriétaire
Miette était couverte d’une grande mante brune à capuchon, qui lui
tombait jusqu’aux pieds et l’enveloppait tout entière. On ne voyait que
sa tête et ses mains. Les femmes du peuple, les paysannes et les
ouvrières portent encore, en Provence, ces larges mantes, que l’on
nomme pelisses dans le pays, et dont la mode doit remonter fort loin.
En arrivant, Miette avait rejeté le capuchon en arrière. Vivant en
plein air, de sang brûlant, elle ne portait jamais de bonnet. Sa tête
nue se détachait vigoureusement sur la muraille blanchie par la lune.
C’était une enfant, mais une enfant qui devenait femme. Elle se
trouvait à cette heure indécise et adorable où la grande fille naît
dans la gamine. Il y a alors, chez toute adolescente, une délicatesse
de bouton naissant, une hésitation de formes d’un charme exquis ; les
lignes pleines et voluptueuses de la puberté s’indiquent dans les
innocentes maigreurs de l’enfance ; la femme se dégage avec ses
premiers embarras pudiques, gardant encore à demi son corps de petite
fille, et mettant, à son insu, dans chacun de ses traits, l’aveu de son
sexe. Pour certaines filles, cette heure est mauvaise ; celles-là
croissent brusquement, enlaidissent, deviennent jaunes et frêles comme
des plantes hâtives. Pour Miette, pour toutes celles qui sont riches de
sang et qui vivent en plein air, c’est une heure de grâce pénétrante
qu’elles ne retrouvent jamais. Miette avait treize ans. Bien qu’elle
fût forte déjà, on ne lui en eût pas donné davantage, tant sa
physionomie riait encore, par moments, d’un rire clair et naïf.
D’ailleurs, elle devait être nubile, la femme s’épanouissait rapidement
en elle, grâce au climat et à la vie rude qu’elle menait. Elle était
presque aussi grande que Silvère, grasse et toute frémissante de vie.
Comme son ami, elle n’avait pas la beauté de tout le monde. On ne l’eût
pas trouvée laide ; mais elle eût paru au moins étrange à beaucoup de
jolis jeunes gens. Elle avait des cheveux superbes ; plantés rudes et
droits sur le front, ils se rejetaient puissamment en arrière, ainsi
qu’une vague jaillissante, puis coulaient le long de son crâne et de sa
nuque, pareils à une mer crépue, pleine de bouillonnements et de
caprices, d’un noir d’encre. Ils étaient si épais qu’elle ne savait
qu’en faire. Ils la gênaient. Elle les tordait en plusieurs brins, de
la grosseur d’un poignet d’enfant, le plus fortement qu’elle pouvait,
pour qu’ils tinssent moins de place, puis elle les massait derrière sa
tête. Elle n’avait guère le temps de songer à sa coiffure, et il
arrivait toujours que ce chignon énorme, fait sans glace et à la hâte,
prenait sous ses doigts une grâce puissante. À la voir coiffée de ce
casque vivant, de ce tas de cheveux frisés qui débordaient sur ses
tempes et sur son cou comme une peau de bête, on comprenait pourquoi
elle allait tête nue, sans jamais se soucier des pluies ni des gelées.
Sous la ligne sombre des cheveux, le front, très-bas, avait la forme et
la couleur dorée d’un mince croissant de lune. Les yeux gros, à fleur
de tête ; le nez court, large aux narines et relevé du bout ; les
lèvres, trop fortes et trop rouges, eussent paru autant de laideurs, si
on les eût examinés à part. Mais, pris dans la rondeur charmante de la
face, vus dans le jeu ardent de la vie, ces détails du visage formaient
un ensemble d’une étrange et saisissante beauté. Quand Miette riait,
renversant la tête en arrière et la penchant mollement sur son épaule
droite, elle ressemblait à la Bacchante antique, avec sa gorge gonflée
de gaieté sonore, ses joues arrondies comme celles d’un enfant, ses
larges dents blanches, ses torsades de cheveux crépus que les éclats de
sa joie agitaient sur sa nuque, ainsi qu’une couronne de pampres. Et,
pour retrouver en elle la vierge, la petite fille de treize ans, il
fallait voir combien il y avait d’innocence dans ses rires gras et
souples de femme faite, il fallait surtout remarquer la délicatesse
encore enfantine du menton et la pureté molle des tempes. Le visage de
Miette, hâlé par le soleil, prenait, sous certains jours, des reflets
d’ambre jaune. Un fin duvet noir mettait déjà au-dessus de sa lèvre
supérieure une ombre légère. Le travail commençait à déformer ses
petites mains courtes, qui auraient pu devenir, en restant paresseuses,
d’adorables mains potelées de bourgeoise. : Park and Suites propriétaires
Miette et Silvère restèrent longtemps muets. Ils lisaient dans leurs
pensées inquiètes. Et, à mesure qu’ils descendaient ensemble dans la
crainte et l’inconnu du lendemain, ils se serraient d’une étreinte plus
étroite.